La France ne manque pas de vaccinateurs mais elle manque de vaccins. A-t-elle péché par manque d’anticipation ?
Pr Alain Fischer : La France ne manque pas de vaccins. Elle se trouve dans la même situation que tous les pays de la communauté européenne qui achètent ensemble leurs vaccins. Au prorata de sa population, la France dispose de 15 % des doses de vaccins, pour l’instant de Pfizer/BioNTech et de Moderna et bientôt — espérons-le demain — des vaccins d’Astra Zeneca. Il n’y a donc pas de problème spécifique à la France. Le monde entier aimerait disposer de plus de vaccins. L’enjeu aujourd’hui est d’optimiser l’utilisation de ceux disponibles.
Convenez-vous qu'un problème d’acheminement se pose, des centres disant manquer de vaccins ?
Pr A. F. : Depuis début janvier, environ 800 centres ont ouvert en France et il y a une énorme demande. C’est très bien, cela signifie qu’il y a un engouement pour la vaccination dans un pays qui jusque-là était encore hésitant. Plus de personnes âgées notamment, ayant des risques de faire des formes graves de Covid, ont envie d’être vaccinées. Mais il ne sera pas possible de répondre avec les vaccins disponibles à toutes les demandes tout de suite. In fine, toutes les demandes seront satisfaites mais elles le seront de manière étagée, au cours des semaines à venir.
Dans ce contexte de tension, fallait-il accélérer la vaccination des soignants ? La décision de les inclure parmi les publics les plus prioritaires, contrairement à ce que recommandait la HAS, répondait-elle à une exigence scientifique ?
Pr A. F. : Oui. Le calendrier a été accéléré mais ce qu’a défini clairement la HAS, c’est qu’il fallait protéger les personnes les plus fragiles (résidents des Ehpad ou sujets à risque…) et les plus exposées dont les professionnels de santé. L’objectif est de les protéger à un moment où se profile la menace liée à la circulation des variants. Pour l’instant, un tiers des professionnels de santé de plus de 50 ans ont été vaccinés. Il faut continuer.
Plusieurs vaccins vont progressivement être disponibles (Astra Zeneca puis Janssen). Dans l’hypothèse où ils auraient des spécificités différentes, les vaccins seront-ils indiqués pour un public en particulier ? Comment sera géré ce choix ?
Pr A. F. : D’abord, plus il y aura sur le marché de vaccins validés disponibles et mieux ce sera. Est-ce qu’il y aura un choix de vaccin pour telle population, je n'en suis pas sûr. Pour cela, il faut attendre d’avoir des informations complémentaires de l’Agence européenne du médicament. Nous attendons d’ici à la fin janvier qu’elle se prononce sur le vaccin d’Astra Zeneca. Nous saurons alors s’il est validé sans restrictions pour toutes les populations. Ce vaccin présente la particularité d’avoir des conditions de conservation qui facilitent la logistique car il peut être conservé longtemps à 4 °C (et non congelé comme celui de Pfizer/BioNTech, N.D.L.R.). Ce vaccin pourra être destiné aux centres de vaccination, bien sûr, mais aussi à certains médecins généralistes et pharmaciens.
La vaccination par les généralistes au cabinet ou lors de visite à domicile hors des grands centres est donc programmée ?
Pr A. F. : Oui. Tant que les vaccins disponibles étaient des vaccins A ARN, ce n’était guère envisageable (à de rares exceptions, avec des équipes mobiles qui se déplacent chez les personnes âgées, par exemple). Il est évident que dès que l’on disposera, je l’espère dès février, du vaccin Astra Zeneca dont les conditions de conservation sont beaucoup plus simples, les médecins traitants et les pharmaciens pourront vacciner comme c’est le cas pour la grippe. Dès février, en fonction de l’avis de l’EMA, des millions de doses d’Astra Zeneca pourraient être administrées en partie via les médecins généralistes puis les pharmaciens. Cela permettra d’élargir les lieux de vaccination dont certains plus proches des personnes à vacciner.
À partir de combien de temps et de personnes vaccinées peut-on espérer commencer à observer l’effet de la vaccination sur la morbimortalité du Covid-19, voire sur la dynamique de l’épidémie ?
Pr A. F. : Si on fait l’estimation très prudente qu’à la mi-février, 60 % des personnes vivant en maison de retraite auront été vaccinées avec un taux d’efficacité de 80 %, cela signifie que la moitié des résidents d’Ehpad seront protégées. On peut espérer réduire de moitié la mortalité liée au Covid en maison de retraite dès le mois prochain. Ce serait très significatif sachant que la mortalité liée au Covid en maison de retraite représente 30 % de la mortalité totale associée à la maladie en France. Puis, si on arrive à quelques millions de personnes fragiles vaccinées en mars, on aura un deuxième effet significatif sur la baisse de la mortalité, de la morbidité et des hospitalisations. Mais ce ne serait pas la fin de l’épidémie, plus difficile à estimer car il y a trop d’incertitude. On ne sait pas quelle fraction de la population il faut vacciner pour contrôler complètement le virus. Par ailleurs, l’émergence de variants éventuellement moins sensibles au vaccin — ce dont on n’a pas la preuve aujourd’hui mais qu’on ne peut exclure — pourrait retarder un retour à la normale. L’OMS est prudente. D’après elle, l’épidémie pourrait ne pas être contrôlée fin 2021, du moins à l’échelle mondiale.
Il a été proposé d’espacer les deux injections notamment du vaccin Pfizer. Vaut-il mieux plus de Français ayant reçu une dose ou moins en ayant reçu deux ?
Pr A. F. : L’espacement de l’administration des doses a fait l’objet de beaucoup de débats. Mais finalement, l’option retenue est plutôt de ne pas trop espacer la seconde dose au-delà de 4 semaines — ce qui est plus simple, plus sage et plus prudent. Beaucoup d’incertitudes persistent, les essais cliniques étant encore récents. Aussi, on ne sait pas pour le moment ce que l’espacement de doses pourrait induire en termes de baisse de l’immunité, surtout chez les personnes âgées qui répondent moins bien aux vaccins. Mais des informations vont arriver progressivement, ce qui pourrait faire évoluer ultérieurement les schémas de vaccination.
Le ministre de la Santé a évoqué lors de sa dernière conférence de presse des signaux laissant augurer une efficacité du vaccin sur la transmission du virus. Qu’en est-il exactement ?
Pr A. F. : À ce stade, il faut être prudent. Les données sur une éventuelle capacité du vaccin à empêcher la transmission du virus sont encore extrêmement fragmentaires. Mais quelques-unes sont encourageantes, et on sait que la plupart des vaccins utilisés contre d’autres maladies infectieuses agissent sur la transmission – même si ce n’est pas le cas de tous. Si cette capacité à prévenir la transmission venait à être clairement démontrée, la première conséquence serait d’élargir plus vite, dans la limite des doses disponibles, la vaccination aux personnes plus jeunes, qui ont une vie sociale plus active et sont plus susceptibles de propager le virus.
Dans ce contexte, la perspective d’un passeport vaccinal est-elle inévitable ?
Pr A. F. : Le sujet d’un passeport vaccinal n’est pas d’actualité. D’abord parce que la vaccination n’a pas encore été proposée à l’ensemble de la population. Au regard des incertitudes qui persistent, un passeport serait scientifiquement illusoire (imaginez qu’on distribue des passeports, et qu’en fait la population reste contagieuse…). Enfin, serait-il éthique de créer, en fonction de l’utilisation qui pourrait être faite de ce passeport, plusieurs classes de citoyens — ceux qui pourraient par exemple aller au restaurant, et ceux qui n’en auraient pas le droit, par exemple ? Je n’en suis pas sûr et je n’y suis pas favorable.
Que sait-on des effets secondaires du vaccin ? La survenue de treize décès en Norvège après une vaccination vous inquiète-t-elle ?
Pr A. F. : Les autorités sanitaires norvégiennes ont indiqué que ces décès étaient survenus chez des personnes extrêmement fragiles, certaines étant apparemment dans des centres de soins palliatifs. Il faut bien avoir à l’esprit qu’en France, 400 personnes décèdent chaque jour dans une maison de retraite. Forcément, une fois de temps en temps, un décès peut survenir le jour d’une vaccination. Cela n’a été signalé à l’heure où je vous parle qu’une fois en France (5 cas de décès de résidents en EHPAD rapportés par l'ANSM le 19 janvier sans qu'ait pu être établi de lien avec la vaccination, N.D.L.R.). Il faut faire attention : ce n’est pas parce qu’il y a une concomitance d’évènements qu’il y a un lien de cause à effet. Il faut aller au bout de l’analyse de ce qu’il s’est passé en Norvège. C’est la seule alerte pour l’heure pour un très grand nombre de personnes âgées vaccinées à travers le monde. Ça ne changera pas les préconisations de la vaccination.
L’émergence de nouveaux variants et notamment du variant anglais ont amené certains à prôner l’accélération de la vaccination. La vaccination va-t-elle freiner la diffusion de ces variants ? Ou au contraire, ne risque-t-elle pas de favoriser leur émergence ?
Pr A. F. : L’émergence de variants nous incite à aller plus vite dans la vaccination. La sécurité des vaccins est très bonne, nous n’avons pas d’états d’âme à la proposer. Pour l’heure, les informations dont nous disposition sur le variant britannique sont que les anticorps produits chez les personnes vaccinées le neutralisent bien. Les données ne sont pas encore disponibles pour les autres variants mais il semblerait que les personnes immunisées par infection naturelle sont susceptibles d’être réinfectées. C’est l’observation faite au Brésil et peut-être en Afrique du Sud. Ça ne signifie pas pour autant que la vaccination ne sera pas efficace.
Pour l’instant, il n’y a pas d’alerte sur une potentielle diminution de l’efficacité des vaccins sur les variants mais nous suivons ce point. Et si nous nous rendions compte – ce serait le pire scénario mais cela est possible – qu’un variant émerge et que la vaccination est nettement moins efficace, l’intérêt du nouveau vaccin est qu’on peut très vite modifier la séquence de l’ARN de façon à utiliser le variant en question pour vacciner.
Il n’est pas exclu, quand il y aura eu un milliard de personnes vaccinées dans le monde, que d’autres variants puissent émerger. Cela impliquerait qu’il faudrait se faire vacciner régulièrement.
Le virus ne cesse de surprendre la communauté scientifique. La vaccination est-elle la panacée ? Avez-vous l’espoir qu’elle permette de l’éradiquer ?
Pr A. F. : Éradiquer est sans doute trop fort. Aujourd’hui, le but est de réduire, autant que faire se peut, le nombre de morts et de personnes gravement malades, mais aussi la pression qu’exerce le Covid sur le système de santé pour éviter un retentissement sur d’autres questions de santé indépendantes du Covid. L’objectif est aussi de réduire la pression sur la vie sociale. Je ne suis pas sûr qu’on arrive à éradiquer le virus mais si nous parvenons à atteindre ces objectifs-là, ce sera un immense progrès.
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