Le 4 février dernier, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé lors de la Journée annuelle organisée par l’Inca exprimait son émotion à être en famille. C'était le retour de la brillante hématologue, ancienne présidente de l'Inca auprès des siens. Mais une ministre doit rompre tous ses liens d'intérêts, ne pas être encombrée par des engagements professionnels même anciens. Le ton était donc sensiblement différent trois jours plus tôt au Conseil d'État lors d'un colloque consacré à la régulation en santé et la ministre régalienne loin de toute attache affective tenait un tout autre discours : « Personne n'a réellement conscience que la ressource allouée aujourd'hui en gain de survie en matière de cancérologie et de maladie orpheline n'est pas du tout la même que celle allouée à d'autres pathologies. Cela questionne évidemment le régulateur. » Et éventuellement le citoyen. Pourquoi en effet le cancer bénéficie-t-il d'un traitement particulier ? Des plans présidentiels, une institution dédiée, l’Inca, des centres de lutte spécifiques. Aucune autre pathologie ne reçoit un tel engagement de la part de la puissance publique. Est-ce en vérité bien raisonnable ? Dans un contexte budgétaire contraint, toutes les maladies sont égales. Pourquoi une maladie serait-elle plus égale que d'autres ? Un quatrième plan cancer ne s’imposerait donc plus. Ou s’intégrerait dans une vision plus large de santé publique. En tout cas, l’interrogation sur la reconduction d’un plan présidentiel agite depuis plusieurs mois le monde de la cancérologie française. En 2018, Dominique Maraninchi et Fabien Calvo ont dénoncé ce risque dans une tribune. Les deux auteurs précisent les motifs de leur engagement (Cf. pp. 8 et 9). Ce combat mobilise tous les acteurs, y compris Thierry Breton directeur général de l’Inca qui appuie la nécessité d’un quatrième plan (Cf. p°11). Parmi de nombreux arguments et au-delà des chiffres de mortalité ou du nombre de nouveaux cas par an, inégalité frappante, l’innovation, diagnostique ou thérapeutique se concentre sur le cancer. L'arrivée de l'immunothérapie dans le cancer est même qualifiée par Eric Vivier et Marc Daëron dans un livre qui vient de paraître (1) de révolution médicale. Les chiffres donnent le vertige.
1 000 traitements relevant de l'immunothérapie
À la fin de l'année 2017, plus de 1 000 traitements et candidats traitements relevant de l'immunothérapie ont été recensés selon les auteurs. 800 nouveaux mécanismes d’action seraient même en cours de développement par les laboratoires pharmaceutiques (Cf. entretien avec Thomas Borel p. 10). Face au progrès, à des innovations structurantes, l’État peut-il adopter une bienveillante neutralité ? Les plans précédents témoignent bien au contraire d’un réel engagement. Pierre-André Juven dans un des chapitres du livre Les politiques de lutte contre le cancer en France (2) parle ainsi d’une politique publique en faveur de la médecine génomique et des thérapies ciblées. La création des plateformes de génomique par l’Inca traduit cette alliance forte. La réalisation des tests sur tout le territoire permet dans un second temps la prescription de ces nouveaux traitements. Cette collaboration active ne relève pas de l’interprétation. Mais s’affiche dans les textes officiels. « Les acteurs industriels doivent pouvoir trouver dans le tissu académique français des interlocuteurs compétents, engagés, disponibles et labellisés dans le cadre d’une politique nationale » (plan cancer 2009-2013). On n'entend guère par contraste la demande sociale d'un nouveau plan Alzheimer alors que c'est un enjeu évident de santé publique. La faute, peut-être à l’absence de progrès décisif dans cette pathologie. Certes, mais ce flux de bonnes nouvelles ne concerne pas seulement la France mais tous les autres pays qui se dispensent de mettre en place un plan cancer présidentiel, voire royal. D'où la demande minimale d'Agnès Buzyn de procéder à une évaluation rigoureuse des résultats générés par le troisième plan.
Des résultats pas toujours à la hauteur des attentes
Et sans attendre, on peut annoncer qu'ils ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. La réduction des inégalités de santé a été martelée comme une priorité nationale, l'une des justifications d'un plan. Seul problème, on ne sait pas même les mesurer, lâche Yohan Fayet (Cf. p 12). Pire, l'invocation des inégalités permet à l'occasion de masquer des échecs cuisants comme le dépistage du cancer colorectal. Lucile Hervouët en donne une saisissante illustration (opus cité). La participation en effet dans l’Hexagone serait de l’ordre de 33 %, un résultat bien en deçà des performances européennes. Comment expliquer cet échec ? Doit-il être imputé aux responsables du dispositif ? En fait, c’est la faute aux pauvres, tranchent les acteurs. Ils ne seraient pas concernés par la prévention du fait de leur éducation et de leur culture. Cette argumentation répond « à une logique de survie » selon Lucile Hervouët. Alors qu’en 2009, un rapport d’évaluation du plan cancer 2003-2007 signalait des « structures fragiles à l’organisation très disparate et vulnérables sur le plan financier ». En affichant comme bannière la lutte contre les inégalités, ces structures de dépistage sont habilitées à solliciter de nouveaux modes de financement. Faut-il parler de cache-misère ou de convergence des luttes ?
Mobilisation sur les cancers de mauvais pronostic
En tout cas, cette thématique n’est même plus évoquée dans les discours officiels. La mobilisation nationale pour les prochaines années est axée sur les cancers de mauvais pronostic comme le poumon, le pancréas, certaines leucémies, des tumeurs du tronc cérébral. Cette stratégie a été développée dans le discours d’Agnès Buzyn le 4 février dernier. En attendant, la ministre de la Santé entretient savamment le doute sur le lancement d’un quatrième plan comme si elle n’entendait pas les appels : « Je souhaite disposer au premier semestre 2020 d’une proposition de stratégie de lutte contre les cancers, applicable pour les années futures », a-t-elle déclaré à la journée de l’Inca. La ministre de la Santé aurait-elle adopté un célèbre proverbe chinois ? Le bon chef de famille, c’est celui qui se montre un peu sourd…
(1) L’immunothérapie des cancers, histoire d’une révolution médicale, Eric Vivierf, Marc Daëron, éd. Odile Jacob, 23,90 euros.
(2) Les politiques de lutte contre le cancer en France, sous la direction de Patrick Castel, Pierre-André Juven, Audrey Vézian. Presse de l’ESESP, 27 euros.
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