Quand Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes et vigie des finances publiques, appelle à la « prise de conscience collective pour revenir à l’équilibre financier de la Sécurité sociale », c’est qu’il y a péril en la demeure.
L’ancien ministre de l’Économie de François Hollande avait lancé cette alerte en novembre devant la représentation nationale, déjà en plein marasme pour tenter de voter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. À l’époque, le Premier ministre Michel Barnier prévoyait de limiter le déficit de la Sécu à 16 milliards d’euros. Deux mois, une censure du PLFSS et un nouveau gouvernement plus tard, le dérapage des comptes de la Sécu semble hors de contrôle : 18 milliards d’euros en 2024 mais 24 milliards d’euros attendus fin 2025. L’ardoise pourrait même s’alourdir à 30 milliards d’euros sans vote du budget de la Sécu. Jugée déjà « non soutenable » par la Cour des comptes, la trajectoire du déficit aurait-elle atteint un point de non-retour ?
Dans ce contexte, comment retrouver de façon crédible le chemin de l’équilibre ? Faut-il mettre en branle un plan d’économies drastiques sur les dépenses, trouver de nouvelles recettes pour la protection sociale, voire questionner les grands paramètres du financement de la santé, entre régimes obligatoire et complémentaire ? « Nous arrivons au bout de ce système de replâtrage permanent, résume le député Philippe Vigier (MoDem). Il est nécessaire d’opérer une refonte totale. »
Efficience et pertinence : vieilles lunes mais vrais gisements
C’est un refrain connu dans le paysage sanitaire : pas la peine de chercher bien loin des gisements d’économies, ils ont l’avantage d’être à portée de main. Manque de coordination des parcours de soins, défauts de communication entre la ville et l’hôpital, prescriptions excessives, actes et examens inutiles ou redondants, hospitalisations évitables… À tous les étages du système, la pertinence des actes permet de récupérer « 20 % » des dépenses de santé « gaspillées », estime l’économiste Thomas Rapp, reprenant un pourcentage régulièrement avancé par la Fédération hospitalière de France (FHF) et l’OCDE. Un principe d’« efficience » que le professeur d’économie à l’université Paris Cité souhaite en particulier appliquer au médicament, quitte à conditionner plus fortement le prix et le niveau de remboursement à l’efficacité avérée des molécules.
Mais cette stratégie, aussi séduisante soit-elle, réclame du temps et risque de se fracasser sur le mur immédiat du déficit, sans compter qu’elle réclame un changement de culture de la part des professionnels de santé. « Il est difficile d’envisager un rétablissement des comptes par le seul effort d’efficience, a analysé le directeur général de la Sécurité sociale (DSS, ministère), Pierre Pribile, lors d’une audition parlementaire, car le dynamisme des dépenses d’assurance-maladie est déjà plus élevé que les recettes nationales […]. Des choix qui pourraient amener à réduire le champ [de prise en charge des soins] de l’Assurance-maladie sont aussi techniquement possibles, mais politiquement… ».
La tentation des transferts de charges
Une autre piste, extrêmement délicate, consiste à déplacer le curseur du remboursement des soins, en désengageant le régime obligatoire pour accroître la part de financement direct par les assurés ou les complémentaires. « Les économies en santé proposées par les gouvernements tombent tout le temps sur les patients », constate, en fin connaisseur, le président de France Assos Santé Gérard Raymond. Michel Barnier avait ainsi envisagé d’augmenter le ticket modérateur sur les consultations médicales et les médicaments, via un transfert de charges aux complémentaires santé – alors chiffré à un milliard d’euros. L’idée a été écartée par son successeur François Bayrou.
En revanche, la tentation de réformer spécifiquement le régime des ALD, qui concerne 13,7 millions de personnes soit 20 % de la population (pour 112 Md€ de dépenses d’assurance-maladie au total), reste vivace. L’ancien ministre de la Santé Frédéric Valletoux avait assumé en mars 2024 « réfléchir à la pertinence » du dispositif des ALD. Dans la foulée, un rapport Igas-IGF proposait une batterie de mesure, dont la fiscalisation des indemnités journalières (IJ), la suppression de l’exonération de ticket modérateur sur certains actes et produits, l’encadrement plus strict de l’ordonnancier bizone ou encore la création de deux niveaux distincts de reconnaissance et de prise en charge de l’ALD selon la sévérité de la pathologie. Très influent dans la sphère politique, l’Institut Montaigne, think tank libéral, a lui aussi travaillé sur ce sujet en préconisant de réduire la liste de 30 ALD, jugée obsolète. Gisement espéré : 2,7 milliards d’euros.
CSG progressive et deuxième journée de solidarité
Au-delà des économies possibles, se pose la question d’une diversification des recettes de la protection sociale. Faut-il instaurer une CSG ou une contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) « progressive » et « en fonction des revenus », comme le suggère le socialiste Jérôme Guedj, spécialiste du sujet ? D’autres acteurs, comme le Medef, militent pour un recours à la « TVA sociale », qui consisterait à taxer davantage la consommation pour diminuer le coût du travail. Un changement de paradigme que le gouvernement a pour l’instant écarté au nom de la protection du pouvoir d'achat des classes moyennes.
L’équipe de François Bayrou a ouvert d’autres pistes, toutes jalonnées d’obstacles. Fin janvier, la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet a sondé l’atmosphère avec une éventuelle contribution au financement de la protection sociale de certains retraités « qui peuvent se le permettre », en fonction de leur niveau de pension. « C’est à discuter, ça peut être 2 000 euros, ça peut être 2 500 », avait-elle envisagé, regrettant que le financement incombe trop aux entreprises et aux travailleurs. Sa ministre de tutelle, Catherine Vautrin, a quant à elle testé l’idée du Sénat de faire travailler tous les actifs… sept heures de plus par an sans rémunération afin de renflouer le secteur du grand âge. Une deuxième journée de solidarité, en quelque sorte, qui a peu de chances de passer – la gauche comme le rapporteur LR Thibault Bazin ayant déposé des amendements de suppression.
Pas d’assiette miracle
Plus classiques figurent la création de taxes comportementales (sur les sodas, le tabac ou les jeux en ligne) – susceptibles de procurer jusqu’à 300 millions d’euros, selon l’exécutif – et surtout la réduction des exonérations de cotisations patronales pour mobiliser davantage les entreprises. Mais sur ces deux sujets, les débats s’annoncent houleux au sein d’une Assemblée morcelée. Autre piste rebattue, la traque à la fraude sociale. Avec un manque à gagner sur le travail dissimulé estimé entre 7,6 et 9,8 milliards en 2024, le gain théorique est colossal mais la traduction pratique dans les comptes beaucoup plus difficile à atteindre.
Attention, prévient en tout état de cause Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) : « Il n’y a pas d’assiette miracle […] car tous [les leviers] sont, d’une façon ou d’une autre, conditionnés à la croissance ». Pour éviter d’être dépendant d’une solution unique, le spécialiste des comptes sociaux privilégie un « mix de recettes et de dépenses » pour se rapprocher de l’équilibre.
Comme à l’accoutumée, le débat sur le financement de la santé s’est traduit aussi par une remise en question du rôle et de la contribution des mutuelles et assurances privées. Accusées d’accumuler de confortables réserves ou d’afficher des frais de gestion élevés, les complémentaires s’exposent cette fois à une taxe d’un milliard d’euros (censée compenser l’abandon de la hausse du ticket modérateur). Une ponction jugée « incompréhensible » par l’ensemble des fédérations des complémentaires santé.
Consensus autour d’un financement pluriannuel
Le principe d’une programmation pluriannuelle en santé fait l’objet d’un large consensus, chez les acteurs du secteur (industriels, hôpitaux, libéraux) comme des parlementaires, tant l’outil de pilotage annuel qu’est le PLFSS paraît restreindre les débats à un aspect uniquement financier. Le gouvernement précédent s’était déjà prononcé favorablement sur ce sujet, François Bayrou a repris cet objectif d’approche pluriannuelle. Une vision à long terme également saluée par le patron du Medef, Patrick Martin, qui y voit une possibilité pour les acteurs privés d’investir dans le système de santé avec davantage de visibilité.
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes