Les deux rapports de l'Inspection générale des Finances (IGF) et celle des Affaires sociales (Igas) finalement publiés ce mardi 5 avril ne laissent place à aucun doute ; de graves dysfonctionnements au sein des Ehpad du groupe privé Orpea sont à déplorer.
Le rapport de plus de 500 pages, réunissant les deux rapports d'enquêtes, est consultable par tous et « en toute transparence » sur le site internet du ministère de la Santé, a fait savoir la ministre déléguée auprès du ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, dans un tweet publié ce mardi.
Priorité à la performance financière et suroccupation des Ehpad
Le document que Le Généraliste a consulté montre que le pilotage des établissements donne la priorité à la « performance financière ». Les critères de qualité sont, eux, « évalués séparément ».
L'activité des directeurs d'établissements est ainsi « encadrée (...) par le reporting budgétaire quotidien de l'établissement pour respecter les objectifs qui lui sont fixés en matière de masse salariale, de résultat net ou encore de taux d'occupation », peut-on lire.
Par ailleurs, le suivi de cette performance financière est assuré par les directeurs régionaux, pour qui l'attribution de primes et de bonus « est fondée (...) sur la seule performance financière des établissements qu'ils supervisent. »
Le suivi des directeurs régionaux des établissements dont ils ont la charge se matérialise donc par « une pression continue sur les directeurs d’établissements », indique le document.
« Cela se lit notamment dans les plans d’actions mensuels – échanges avec le directeur régional dans lesquels figurent par exemple des consignes explicites visant à ne pas remplacer tous les postes dans des Ehpad pourtant en situation d’occupation maximale », écrivent les inspecteurs de l'IGF et de l'Igas.
Ce management basé sur la recherche de profit conduit au « dépassement récurrent de la capacité d'accueil autorisé ». Ainsi, la suroccupation a été identifiée dans 11 % des Ehpad du groupe en 2019, soit environ 25 établissements.
Manque de personnels et économies sur les repas
Par ailleurs, le rapport d'enquête souligne que les taux d'encadrements moyens sur l'année 2019 sont inférieurs à ceux du secteur des Ehpad privés.
Au global, le taux d'encadrement en 2019 est ainsi de « 61,6 salariés pour 100 lits contre 62,1 en moyenne. » Et ce, pour la plupart des catégories de personnel : « agents de service hospitalier (- 2,9 points), autres personnels médicaux et paramédicaux (- 0,6 point) », est-il précisé.
Concernant plus spécifiquement la présence des médecins, « Orpea est, comme d’autres acteurs du secteur, tributaire de la démographie médical », note les inspecteurs.
Toutefois, « le groupe semble plutôt moins touché que la moyenne par les vacances de poste de médecins coordonnateurs, toutefois significatives (18 % des établissements en sont dépourvus en 2022, les valeurs moyennes pour le secteur ayant été évaluées entre 20 % et 30 %). »
Comme le souligne le rapport, l'organisation médicale au sein des établissements souffre « du fait que beaucoup de médecins traitants arrêtent le suivi de leurs patients après leur entrée en Ehpad. Les médecins coordonnateurs sont ainsi fréquemment conduits à assurer un suivi des résidents au-delà de l’urgence, donc au détriment de leur cœur de métier. »
Les inspecteurs pointent par ailleurs des défaillances sur l'alimentation des résidents avec des « grammages utilisés par les cuisiniers des Ehpad Orpea significativement en-deça » des recommandations établies.
Des documents financiers jugés « insincères » par l'IGAS et l'IGF
D'après l'AFP, sur le plan comptable, « les documents financiers obligatoires transmis aux tutelles par les Ehpad sont insincères » et ne respectent pas la réglementation, selon le rapport.
Sur la période 2017-2020, Orpea a ainsi dégagé 20 millions d'euros d'excédent sur les dotations versées par les pouvoirs publics pour prendre en charge les soins et la dépendance de ses résidents âgés. Ces excédents « ne font l'objet d'aucun suivi comptable précis », si bien qu'une partie pourrait, « le cas échéant », être « distribuée aux actionnaires », selon les inspecteurs.
En outre, sur la même période, l'entreprise a irrégulièrement imputé sur le forfait « soins » 50,6 millions d'euros de dépenses. Plus de la moitié de cette somme concerne la rémunération des auxiliaires de vie « faisant fonction » d'aides-soignantes, alors qu'elles n'ont pas de diplôme pour exercer ce métier.
Quelques chiffres sur le groupe Orpea
Le groupe Orpea a été créé en France en 1989. En 2021, il comptait en France 228 Ehpad avec environ 14 000 salariés. Les établissements recensaient 27 392 résidents. Le chiffre d’affaires annuel du groupe, présent dans 23 pays, s'élève à 4 milliards d'euros.
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