Depuis fin décembre, un peu plus de 3 millions de Français ont reçu une injection de vaccin anti-Covid. Quel regard portez-vous sur l’organisation de cette campagne de vaccination ?
Dr Patrick Bouet : Nous serions relativement satisfaits si nous n’étions pas en permanence suspendus à la question du manque de doses disponibles. Cette campagne pâtit du fait que nous n’avons pas à notre disposition les quantités de vaccins qui étaient attendues. Indépendamment de leur disponibilité, les indications de ces vaccins réservés aux plus âgés (Pfizer/BioNTech et Moderna) ou exclusifs aux moins de 65 ans (AstraZeneca) rendent compliquée leur administration, sans compter le « trou noir » concernant la population des 65 à 75 ans. Bref, cette campagne suscite des interrogations et part plus lentement que nous l’aurions souhaité.
« Il faut que ça dépote », a déclaré la semaine dernière le ministre de la Santé, tout juste vacciné, laissant entendre que les professionnels devraient passer la vitesse supérieure. Comment accueillez-vous cette interpellation ?
Dr P. B. : Pour que ça dépote, il faut que les doses soient au rendez-vous ! Et que l’on parvienne à les déployer sur l’ensemble du territoire. Les professionnels de santé sont très mobilisés pour cette campagne, ils ont conscience que la vaccination est un outil majeur pour sortir de cette crise. Nous avons tous le même objectif mais la réussite dépendra de la façon dont la France peut obtenir davantage de vaccins et saura les mettra à disposition de la population.
La France a commandé des vaccins au sein de l’UE. Réclamez-vous qu’elle s’en procure par d’autres moyens ?
Dr P. B. : Le champ du possible dépendra du nombre de doses disponibles. Trois vaccins sont dorénavant validés au niveau européen. On ne reviendra pas sur ce qui a été négocié par l’Europe. En revanche, il faut que l’ensemble des acteurs industriels mais aussi l’État se mobilisent. D’autres pays parviennent à passer des commandes spécifiques. L’État doit tout faire pour irriguer notre pays de doses de vaccin.
Des médecins responsables de centres de vaccination en Vendée dénoncent la communication délétère des autorités, promettant l’arrivée massive de vaccins qui n’arrivent pas. Comprenez-vous leur colère ?
Dr P. B. : Nous partageons ces préoccupations. Nous comprenons que l’on demande aux professionnels de santé de se mobiliser pour vacciner. Mais la réalité, c’est que des centres de vaccination sont bloqués car ils n’ont pas les doses. Nous avons des dizaines d’exemples sur le territoire de centres qui ont été ouverts avec des promesses de dotation mais qui ne peuvent pas tenir leurs engagements car les vaccins, en nombre restreint, sont répartis sur l’ensemble du territoire.
Certains centres de vaccination essuient la colère des personnes âgées qui ne parviennent pas à se faire vacciner. Comment éviter que les Français ne parvenant pas à décrocher un rendez-vous abandonnent l’idée d’être vaccinés ?
Dr P. B. : C’est un vrai sujet de préoccupation. Il ne faudrait pas que la population qui avait adhéré ces dernières semaines à la vaccination change d’opinion et que l’on voit les « anti-vax » gagner des voix. On parle de la vaccination comme d’une protection et quand les gens cherchent à être vaccinés, ils n’arrivent pas à avoir rendez-vous ! Nous demandons au gouvernement la plus grande transparence. Plutôt que de tenir des discours rassurants, il faut expliquer aux Français pourquoi la vaccination prend du temps, pourquoi il y a de tels délais d’attente voire pas de rendez-vous. En théorie, le système devrait permettre aux gens d’être vaccinés. Dans les faits, ce n’est pas le cas. Il faut dire clairement aux patients pourquoi ils ne pourront pas être vaccinés dans les délais attendus car la France est dépendante de l’approvisionnement en vaccins. Ce ne sont pas l’organisation de la campagne ni la mobilisation qui sont en cause, c’est le fait que l’on manque de doses.
Le gouvernement a privilégié la prise de rendez-vous en ligne en s’appuyant sur des sociétés privées et pas sur l’Assurance maladie comme il le fait avec la campagne de vaccination anti-grippale. Comprenez-vous ce choix ?
Dr P. B. : Les plateformes sont des systèmes de prise de rendez-vous anonymes et virtuelles et sans contact. La personne au bout du fil est traitée comme si elle prenait rendez-vous chez le coiffeur. Or, la vaccination, c’est autre chose. Il faut à mon sens conserver une possibilité de garder un contact direct. Cela demande une mise en relation un peu à l’image de la régulation. Il manque cette proximité, cet espace de dialogue.
Avec l’arrivée du vaccin d’AstraZeneca, les généralistes vont commencer à vacciner au cabinet les moins de 65 ans à risque. Du fait du circuit d’approvisionnement complexe et des tensions de stock, ne craignez-vous pas que les médecins se détournent de la vaccination en ville ?
Dr P. B. : Les généralistes sont profondément convaincus de l’intérêt de la vaccination pour sortir de cette crise. Mais ils ont aussi besoin de plus de visibilité dans l’action. Or, ce n’est pas vraiment le cas avec ces vaccins à conditionnement complexe et avec des mises à disposition compliquées. Je rappelle que tous les médecins généralistes doivent s’inscrire d’ici à ce mercredi 17 février soir auprès d’une pharmacie de référence pour pouvoir avoir un premier flacon de 10 doses pour la semaine à venir (ils étaient environ 10 000 à l’avoir fait ce mardi selon Le Quotidien du Pharmacien). Et il faudra programmer des rendez-vous rapprochés pour utiliser ces doses rapidement. Il faudra une grande flexibilité de la campagne de vaccination pour permettre aux médecins généralistes d’accomplir cette mission vaccinale (en centre de vaccination, en maison de santé ou au cabinet…). Mais aussi que la délivrance des vaccins soit fluide pour éviter de reproduire ce qui s’est passé avec les masques. À l’époque, des médecins qui avaient retiré une boîte de 50 masques avaient dû en ramener 42 car ils n’avaient droit qu’à 8 !
Redoutez-vous que la rivalité entre médecins et pharmaciens sur la mise à disposition des vaccins puisse porter préjudice à la campagne de vaccination ?
Dr P. B. : Sur le terrain, la relation au quotidien est bonne entre médecins et pharmaciens. Les pharmaciens vont être soumis comme les médecins à des problématiques de tensions d’approvisionnement qui seront d’autant plus importantes quand ils seront eux-mêmes vaccinateurs. Nous devrons faire face aux mêmes difficultés logistiques. L’acte de vaccination ce n’est pas seulement l’injection, c’est d’abord l’indication vaccinale. Elle doit rester médicale, de même que la recherche d’éventuelles contre-indications. Tout le monde a intérêt à une bonne coopération et à ce que les médecins et les pharmaciens exercent chacun leur métier qui sont bien différents.
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes