Quel bilan peut-on tirer de la réduction des inégalités face aux cancers, l’un des points majeurs du troisième plan cancer ?
C’était l’un des objectifs prioritaires. Or comment le traduire en mesures concrètes ? On a en vérité peu progressé en matière de connaissances précises et sur les mesures à prendre au niveau de la population française. Faut-il une preuve ? On ne dispose toujours pas de cartographie précise des inégalités géographiques face au cancer. Santé publique France en a proposé récemment à l’échelle des départements. Mais les inégalités territoriales se jouent aussi et surtout à une échelle plus fine. S’il peut s’avérer complexe de connaître les caractéristiques socio-économiques des patients, leur origine géographique est pourtant plus aisée à collecter.
Cette question des inégalités de santé est apparue dans le débat public bien avant d’être exposée par la crise des gilets jaunes.
C’est une question très complexe. Ce qui explique pourquoi on a des difficultés à la traiter. Tout dépend du critère choisi. Ce n’est pas la même chose si on évalue les inégalités en termes d’incidence, de mortalité, de qualité de vie, ou encore de vécu de la maladie. Les inégalités de mortalité, par exemple, traduisent à la fois des différentiels d'exposition aux risques environnementaux, de comportements et d’accessibilité aux soins. Le champ d'action dépasse donc largement le spectre de la seule lutte contre le cancer ou de l'Inca. Il fait intervenir des problématiques sociétales, de politiques environnementales et de prévention des risques.
C’est donc un thème incantatoire.
Il est incantatoire et s’est malheureusement dilué au fil du temps dans l’élaboration concrète d’un plan. Compte tenu de l’ambition initiale du Plan au moment de son annonce, on peut s’estimer en deçà des attentes. Il n’a pas favorisé par exemple un changement de paradigme sur la façon dont le problème est abordé.
Comment alors expliquer ce retard ?
L’hypothèse la plus négative serait que l’on ne souhaite pas établir ce constat par crainte de résultats et des conflits entre institutions. Peut-être existe-t-il une forme d’auto-censure… La dernière carte établie à une échelle fine, celle du canton, a été établie à partir de données recueillies entre 2001 et 2007. Depuis dix ans, on ne dispose pas d’une cartographie plus précise et actualisée.
Les données sont-elles plus accessibles dans les autres pays ?
De nombreuses études existent par exemple sur les parcours de soins, l’impact de la distance sur le recours à un centre de référence. Mais les déterminants géographiques du cancer sont davantage étudiés que les inégalités géographiques en tant que telles. Et c'est bien là tout l’enjeu. La difficulté est de penser les inégalités comme une problématique géographique ou sociale (une inégale répartition du risque selon les populations) et non comme une conséquence des seules politiques de santé.
Le thème est d’ailleurs moins évoqué aujourd’hui.
Un silence s’est installé qui traduit bien notre impuissance et notre embarras à communiquer sur ces inégalités. Si l’on évoque le projet d’augmentation des seuils d’activité, comment nier que cette réduction de l’offre permettrait de réduire l’inégalité de prise en charge et d’améliorer la qualité de traitement d’un certain nombre de patients ? Néanmoins, ces mesures auraient aussi un impact concret sur l’accessibilité aux traitements du cancer dans la mesure où des patients des zones rurales verraient alors leurs temps de trajets augmenter significativement. D’un côté, ce type de mesure réduirait les inégalités. De l’autre, elles seraient contre-productives sur ce critère de l’égalité d’accès. Jusqu’où peut-on aller dans la centralisation du soin ? Le rôle des sciences humaines et sociales est justement de produire les connaissances nécessaires à l’arbitrage de ce genre de conflit.
Les gilets jaunes évoquent davantage le maintien des maternités de proximité que d'autres structures de soin dédiées au cancer par exemple.
C’est probablement lié à la très faible prise de conscience par les populations des problématiques de qualité des soins en cancérologie entre les structures. L’accessibilité en matière d’urgence ou de maternités les importe plus car le temps de trajet n’est plus seulement une contrainte. C’est aussi un élément potentiellement décisif pour leur état de santé. Dans le cas des prises en charge en cancérologie, qui sont pour l’essentiel programmées, l’accès à un premier recours est moins décisif. Le plateau technique, le niveau d’expertise du centre de soin comptent dans l’appréciation des parcours. L’équation est donc plus complexe. Dans le même temps, l’accessibilité aux soins primaires est un déterminant fort pour le pronostic du patient. Il y a tout lieu de penser que les habitants des zones rurales ou présentant des problèmes d’accès aux soins soient désavantagés et diagnostiqués à un stade plus tardif. Cette première marche d’accès, relative à la démographie médicale, n’est pas dans le champ d’action de l’Inca. Et ne relève pas d’un plan cancer. La sectorisation du cancer atteint ses limites. Quant aux inégalités de santé, elles ne concernent pas le cancer mais bien sûr toutes les pathologies.
La crise des gilets jaunes inscrit-elle cette question des inégalités à l’agenda politique ?
La crise actuelle démontre la sensibilité de la question. Elle devrait inciter les autorités à la prudence sur ces questions. Le regroupement en maisons de santé comporte, de façon générale, de nombreux avantages pour les praticiens. Mais ce n’est pas la solution pour tous les territoires. Cette « innovation » qui a démontré son efficacité de façon générale trouve ses limites dans certains territoires qui peinent déjà à attirer un seul praticien
Pour avancer sur les inégalités géographiques face aux cancers, que faudrait-il mesurer ?
Commençons par mesurer les inégalités de mortalité à l’échelle du canton, à savoir le taux de mortalité dû au cancer. Ce qui nous permettrait d’identifier les territoires les plus vulnérables au cancer puis d’en suivre l’évolution chronologique. L’élément suivant serait de disposer des taux d’incidence afin de les rapprocher avec les taux de mortalité. Ce qui nous permettrait de distinguer si une surmortalité dans un territoire est attribuable à une plus forte exposition aux risques de cancer ou à des pertes de chances durant le parcours de soins. Et donc de cibler localement l’action publique sur les problématiques qui contribuent le plus fortement aux pertes de chances de chaque territoire (prévention, diagnostic, prise en charge). On voit par exemple que les progrès enregistrés dans la médecine de précision sont assez peu accessibles et pourraient au final accroître les inégalités. Cette contradiction, plus ou franche selon les sujets, entre l’objectif d’optimisation de la qualité et celui de réduction des inégalités devrait être prise en considération.
*Centre Léon-Bérard, Lyon.
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