« Est-ce que tu fumes ? Qu’est ce que tu fumes ? » Deux questions simples et anodines qui peuvent tout changer, et faire entrer un jeune patient dans un questionnement sur sa consommation de cannabis.
L’intervention brève est une technique de communication avec le patient issu des entretiens amotivationnels conçus par les psychologues américains William Miller et Stephen Rollnick dans les années 1980. Au cours d’un tel entretien, le médecin reformule avec le patient son niveau de consommation et travaille avec lui sur sa motivation. Les interventions brèves se basent sur le même principe, mais durent 15 à 20 minutes, et peuvent parfaitement s’insérer dans une consultation de médecin générale.
Une approche éprouvée dans le domaine du tabagisme
« Les interventions brèves ont déjà fait leur preuve dans d’autres domaines, raconte Catherine Laporte chef de clinique de médecine générale et membre du département de médecine générale de la faculté de médecine de Clermont-Ferrand. Le simple fait de poser les questions "est ce que vous avez déjà fumé ?" et "Est ce que vous envisagez d’arrêter ?" provoque une baisse de 2 % de la consommation de tabac ». Dès lors, pourquoi ne pas tenter d’appliquer ce concept au cannabis aux adolescents et jeunes adultes qui se présentent en cabinet de médecine générale ? C’est ce que Catherine Laporte et ses collègues ont tenté dans le cadre de l’étude CANABIC. Ils ont évalué l’efficacité d’une intervention brève réalisée systématiquement auprès des jeunes patients des cabinets de médecine générale repartis entre le Languedoc-Roussillon, l’Auvergne et la région Rhône-Alpes.
Les généralistes élargissent leur spectre de patients
L’efficacité de l’intervention brève sera évaluée par l’impact qu’elle aura sur la consommation des adolescents entre 15 et 25 ans, mesurée en nombre de « joints » fumés par mois au bout d’un an de suivi. Les auteurs s’intéressent aussi à des critères secondaires comme la fréquence des jeunes qui affirment conduire après avoir consommé du cannabis. Une étude qualitative est également en cours de réalisation, qui est « plus du ressort des sociologues et des anthropologues », explique Catherine Laporte. Les chercheurs en sciences humaines vont questionner médecins et patient pour analyser les aspects de la consultation qui ont joué en faveur de l’établissement d’un dialogue.
« La recherche en médecine générale est en plein essor, explique Catherine Laporte. L’idée derrière notre évaluation qualitative, c’est si l’intervention brève fonctionne pour le cannabis, elle peut aussi fonctionner avec le poids et les facteurs cardiovasculaires », poursuit-elle.
Peurs de se montrer intrusifs
CANABIC est né d’un constat dressé par Philippe Vorilhon, professeur associé de médecine générale à l’université d’Auvergne, et Catherine Laporte, au cours d’une enquête menée auprès de 24 médecins généralistes auvergnats réunis en groupes de discussion. Au cours de leurs débats, publiés en juin dernier dans la revue « Family Practice », on découvre que les participants identifiaient bien l’adolescence comme une période de la vie propice aux désordres psychologiques pouvant conduire à la consommation régulière de cannabis. En revanche, les avis divergeaient sur l’importance à lui accorder : drogue douce récréationnelle pour les uns, drogue tout court menant à des substances plus dangereuses pour les autres.
Une majorité de praticiens n’était pas à l’aise avec l’idée d’aborder systématiquement la question avec leurs jeunes patients, surtout s’ils se considèrent peu informés. « Ils ne savent pas forcément comment réagir en cas de réponse positive, explique Philippe Vorilhon. Ils ont surtout peur de se montrer intrusifs vis-à-vis de leurs jeunes patients ou d’adopter une posture trop moralisatrice ».
La relation avec les parents était aussi parfois problématique. « Pour certains d’entre eux, le cannabis ne constitue pas un problème. Mais pour d’autres, c’est une affaire grave qui nécessite un suivi psychologique disproportionné. Entre ces deux extrêmes, les médecins ont parfois du mal à garder une attitude neutre », poursuit Philippe Vorilhon.
Seuls 8 % des généralistes en parlent aux patients
En 2011, une étude parue dans la revue d’épidémiologie et de santé publique montrait que seuls 8 % des médecins généralistes posaient des questions sur le cannabis aux adolescents de leurs patientèles. Un chiffre trop faible pour Philippe Vorilhon pour qui « les médecins généralistes sont les spécialistes les plus fréquemment consultés par les adolescents. » Au cours de l’étude CANABIC, les auteurs ont recruté 150 médecins généralistes répartis entre un groupe contrôle qui ne changeait pas ses pratiques cliniques, et un autre qui suivait une formation sur une journée. « On leur a communiqué quelques techniques avant de faire des jeux de rôle pour les mettre en situation », détaille Catherine Laporte, « l’idée, c’est d’assurer une prise en charge la plus précoce possible. Si l’adolescent répond qu’il ne fume pas, on aura fait de la prévention ciblée. La plupart de ceux qui fument resteront non problématiques mais ils savent qu’une porte est ouverte si jamais ils se sentent basculer vers un usage plus intensif. »
Les médecins généralistes ont été inclus à l’automne 2012, et le suivi s’est achevé au milieu de 2014. Les résultats détaillés seront présentés au congrès du collège national des généralistes enseignants les 27 et 28 novembre à Lille.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024