Le Quotidien - Malgré les dernières campagnes de « Mars bleu », le taux de participation au dépistage du cancer colorectal n’évolue guère. Quels sont les principaux obstacles au développement de ce dépistage ?
Pr Agnès Buzin - Tout d’abord, il semble exister au sein de la population une mauvaise appréhension de la maladie. Les Français sous-estiment à la fois l’incidence de ce cancer (40 500 personnes touchées chaque année), sa gravité et du coup l’enjeu du dépistage. Le cancer colorectal reste le deuxième cancer le plus meurtrier en France. Pourtant on sait que lorsqu’il est détecté à un stade précoce il se guérit dans 9 cas sur 10. Un paradoxe qui nécessite de réaffirmer l’importance du dépistage. Pour cela, l’implication du médecin généraliste est essentielle. Elle l’est à double titre : le médecin généraliste joue un rôle majeur pour orienter les personnes en fonction de leur niveau de risque, et proposer le test de recherche de sang dans les selles aux personnes concernées. Sa parole est également essentielle pour inciter ensuite les patients à faire le test. L’un des objectifs de la campagne est de rappeler aux médecins leur rôle prédominant dans l’acceptabilité du dépistage et dans l’information délivrée au patient. Lorsque c’est le médecin généraliste qui propose le test en consultation, il est réalisé dans 90 % des cas.
PRENDRE CONSCIENCE DU FORMIDABLE ATOUT QUE REPRESENTE LE DEPISTAGE ORGANISE
Le principe du test fécal constitue-t-il en soi un frein à une meilleure acceptabilité de ce dépistage ?
Il est évident que ce test est plus compliqué à réaliser qu’une prise de sang. Mais il ne semble pas constituer un frein majeur puisque déjà plusieurs départements ont des taux de participation qui dépasse les 50 %. Les freins peuvent être liés à la peur de la coloscopie, qui ne concerne pourtant que 2 % à 3 % des personnes puisqu’elle n’est réalisée qu’en cas de résultat positif du test au gaïac, ils peuvent aussi être dus à la difficulté de parler du cancer colorectal à son médecin. Le processus qui amène au dépistage peut aussi paraître un peu complexe puisqu’il faut consulter un médecin pour se procurer le test, le réaliser soi-même à son domicile sur trois selles consécutives, identifier ensuite tous les prélèvements puis les envoyer au centre de lecture. Même si ce parcours peut paraître un peu compliqué, il est nécessaire car il permet au médecin de faire le point avec son patient et ainsi d’orienter vers les modalités de prises en charge adaptées au niveau de risque de chacun, c’est-à-dire soit directement vers une coloscopie soit vers le test au gaïac. C’est un gage de qualité et de sécurité.
Comment lever ces freins ?
Pour lever ces différents freins, il est important de faire prendre conscience à la fois aux médecins généralistes et à la population du formidable atout que représente le dépistage organisé pour lutter contre le cancer colorectal. Il faut les pousser l’un comme l’autre à prendre l’initiative d’aborder le sujet en consultation. C’est un dépistage dont l’efficacité n’est pas remise en question et pour lequel il n’y a pas de polémique autour du surdiagnostic et du surtraitement.
Les nouveaux tests immunologiques étaient attendus pour cette année. Comment expliquer ce retard ?
La mise en place d’un tel programme utilisant à grande échelle un test immunologique lu sur des automates est complexe. Les pays européens qui se sont engagés dans le même processus ont été confrontés aux mêmes difficultés. Le retard est essentiellement dû à des raisons techniques. L’Assurance-maladie est responsable de l’appel d’offres européen mais le cahier des charges est complexe. Il est en cours d’écriture et sera lancé en 2013. L’objectif est de pouvoir les utiliser dès le début de l’année 2014 dans tous les départements. Le programme national cible 17 millions de personnes, mobilise 90 structures de gestion, 33 laboratoires et plus de 50 00 médecins. La migration vers ce nouveau test nécessite donc une coordination renforcée entre les différents acteurs. Une période de transition sera de toute façon nécessaire car des tests au gaïac pourront encore être réalisés et il faudra que l’on soit encore en capacité de les lire.
Combien va coûter le passage au test immunologique ?
Il est clair que ce nouveau test coûtera plus cher à la collectivité que le test au gaïac même si le but de l’appel d’offres en cours est d’obtenir le meilleur prix. Il faut savoir que le test immunologique en étant beaucoup plus sensible va entraîner la réalisation d’environ deux fois plus de coloscopies. Mais en même temps les études que nous avons réalisées montrent que l’on détectera 3 à 4 fois plus de polypes et des cancers de stade plus précoce nécessitant des traitements moins lourds et donc moins coûteux. Nous sommes en train de travailler avec le ministère de la Santé et l’Assurance-maladie pour améliorer l’efficience du dispositif et essayer de faire en sorte que l’ensemble du processus aboutisse à un surcoût limité pour la société. Une évaluation médico-économique est en cours, elle porte notamment sur l’efficacité de la seconde relance avec envoi systématique du test au domicile des personnes n’ayant pas encore participé.
Quid des tests sanguins en cours de développement ?
Ils sont prometteurs mais nécessitent que leur efficacité soit confirmée par des études à grande échelle menées en population. Plusieurs approches s’appuyant sur la protéomique ou les modifications épigénésiques sont actuellement développées. Il est évident que tout ce qui pourra permettre de favoriser une meilleure acceptabilité du dépistage devra être pris en compte. Mais pour intégrer de nouvelles méthodes de dépistage, il faut d’abord vérifier qu’elles apportent un bénéfice par rapport à celles existantes en termes de spécificité et de sensibilité. Comparer deux techniques nécessite du temps.
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