L’insuffisance tricuspide, une pathologie trop longtemps négligée !

Publié le 05/07/2024
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Trop longtemps mal connue et négligée, l’insuffisance tricuspide est une entité complexe et hétérogène qui s’accompagne d’un mauvais pronostic. La chirurgie est actuellement souvent envisagée à un stade beaucoup trop évolué de la maladie. Mais depuis quelques années, cette pathologie grave est l’objet d’un regain d’intérêt majeur de la part des cardiologues, et suscite de très nombreux travaux de recherche. Une meilleure connaissance devrait conduire à un diagnostic plus précoce et à discuter en « Heart Team », plus tôt, la chirurgie et les traitements percutanés, encore en cours d’évaluation. C’est la seule stratégie susceptible d’améliorer le pronostic.

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Fig 1. Coupe apicale 4 cavités en échocardiographie Doppler couleur. Présence d’une IT sévère (1)
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Fig 2. Défaut de coaptation majeur en systole (hiatus) de la valve tricuspide, lié à la dilatation des cavités droites en échocardiographie bidimensionnelle, à l’origine d’une IT majeure

(1) OD : oreillette droite, VD : ventricule droit, flèche : jet d’insuffisance tricuspide

L’insuffisance tricuspide (IT) est définie par un reflux sanguin du ventricule droit (VD) vers l’oreillette droite en systole. Elle a longtemps été négligée, et considérée à tort comme une affection bénigne, ce qui lui a valu le qualificatif de « valvulopathie oubliée ».

L’échocardiographie transthoracique est l’examen clé, permettant, de façon non invasive, l’appréciation de la sévérité, du mécanisme, de l’étiologie et du retentissement hémodynamique de l’IT (figure 1). La présence d’une IT minime est fréquente et bénigne. Plus rare, avec une prévalence estimée à 0,8 % de la population générale, l’IT moyenne ou sévère est associée à un mauvais pronostic (1). L’incidence de l’IT sévère augmente nettement après 75 ans, en particulier chez les femmes et en cas de fibrillation atriale.

Souvent fonctionnelle

Sur le plan étiologique, l’IT est majoritairement fonctionnelle, c’est-à-dire sans atteinte organique de la valve. La fuite est alors secondaire à un remodelage et une dilatation du cœur droit, à l’origine d’un défaut de coaptation valvulaire, créé par une restriction de mouvement des feuillets de la valve et/ou une dilatation de l’anneau tricuspide (figure 2). Ces IT fonctionnelles, encore appelées IT secondaires, sont essentiellement liées :

– à une hypertension artérielle pulmonaire secondaire à une atteinte du cœur gauche (valvulopathie du cœur gauche, dysfonction ventriculaire gauche) ou à une maladie pulmonaire ;

– à une maladie du ventricule droit ;

– à une dilatation de l’oreillette droite et de l’anneau tricuspide, le plus souvent dans un contexte de fibrillation atriale ancienne.

Une fois l’IT présente, un cercle vicieux s’installe : la fuite aggrave la dilatation des cavités droites, ce qui majore la fuite.

Les IT organiques avec atteinte valvulaire (endocardite infectieuse, valvulopathie rhumatismale, prolapsus valvulaire, syndrome carcinoïde, valvulopathie médicamenteuse ou valvulopathie radio-induite…) sont beaucoup moins fréquentes.

Longtemps asymptomatique

Sur le plan clinique, le patient demeure longtemps asymptomatique. Les symptômes – asthénie, dyspnée et signes d’insuffisance cardiaque droite – ne sont pas spécifiques. Le souffle systolique d’IT est souvent peu intense, voire absent, et ce, même dans les formes sévères ; il se majore à l’inspiration profonde.

L’IT est souvent mise en évidence avec un retard diagnostique important, au stade d’insuffisance cardiaque droite avancée, avec lésions irréversibles du VD, et parfois cirrhose d’origine cardiaque. À ce stade, le risque chirurgical est majeur, en raison de la dysfonction VD.

Trop peu de patients sont adressés au chirurgien, et trop tard

Une prise en charge complexe

La prise en charge thérapeutique dépend de la sévérité, du retentissement et de la cause de l’IT. Les IT organiques (ou primaires) sévères et symptomatiques sont généralement opérées (2).

La prise en charge des IT fonctionnelles est plus complexe. Les diurétiques permettent fréquemment de diminuer, temporairement, la sévérité de ce type d’IT « volo-dépendante » mais ne sont pas suffisants et restent un traitement palliatif. La chirurgie demeure la technique de référence de correction de l’IT sévère. Malgré des recommandations encourageant un traitement précoce des IT sévères au stade asymptomatique en présence d’une dilatation ou une dysfonction VD précoce (2), elle est encore souvent discutée à un stade beaucoup trop évolué de la maladie. À cause de ce retard, seule une minorité de patients sont en réalité adressés au chirurgien. En effet, le risque opératoire est jugé inacceptable chez de nombreux patients, en raison de l’âge, des comorbidités ou de la présence d’une dysfonction VD avérée.

Divers traitements percutanés de l’IT, par voie veineuse, en cours d’évaluation, permettent une réduction significative ou une disparation de la fuite, et commencent à être utilisés. Ils n’ont pas démontré pour l’instant d’effets sur la mortalité et ne sont pas remboursés en France par la Sécurité sociale.

Le remplacement valvulaire tricuspide percutané, encore du domaine de la recherche, suscite un très grand intérêt et semble particulièrement prometteur.

(1) Bohbot Y al. Characteristics and prognosis of patients with significant tricuspid regurgitation. Arch Cardiovasc Dis. 2019 Oct;112(10):604-14
(2) Vahanian A al Guidelines for the management of valvular heart disease. Eur Heart J. 2022 Feb 12;43(7):561-632

Pr Christophe Tribouilloy et Dr Yohann Bohbot, département de cardiologie, CHU Amiens

Source : Le Quotidien du Médecin