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Dossier

Nutrition

Une transition alimentaire inédite

Publié le 13/03/2020
Une transition alimentaire inédite


Dédiées au lien entre alimentation et cadre de vie, les journées annuelles Benjamin Delessert (Paris, 29 janvier) étaient fortement teintées de sciences sociales cette année. Des préoccupations santé de plus en plus marquées jusqu’aux convictions écologiques, les participants se sont penchés sur les tendances sociétales qui influencent les consommations alors que la France est en pleine transition alimentaire.

Pour la chercheuse Pascale Hebel, la chose est entendue : nous vivons actuellement une transition alimentaire sans précédent avec, depuis 6 ans, une accélération des modifications du contenu de l’assiette des Français. « Nous observons en particulier une "transition protéique", avec un recul des protéines animales en faveur des protéines végétales (-12 % de produits carnés entre 2007 et 2016, avec une baisse surtout importante depuis la crise économique de 2013), ainsi qu’une chute de la consommation de produits laitiers (-21 %) », rapporte la directrice du pôle consommation et entreprises du CRÉDOC (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie). De plus, la quantité de légumineuses consommées, partie de très bas, augmente entre 2013 et 2016, avec l’apparition de la consommation de graines (noix, amandes, noisettes…).

En parallèle, depuis vingt ans, les pâtes et le riz, les plats composés ou préparés ont pris de l’ampleur, au détriment des fruits et légumes et du pain. Enfin, malgré leur notoriété, les régimes « sans » restent anecdotiques, même si leur proportion a été multipliée par 10 entre 1999 et 2019. Ainsi, le végétarisme ne concerne que 5 % de la population en France comme dans la plupart des pays européens.

Ces évolutions résultent à la fois de préoccupations santé et environnementales croissantes mais aussi de nouvelles contraintes inhérentes aux modes de vie actuels.

Entre préservation de la santé…

« Au début des années 2000, à la suite des crises de la vache folle, les consommateurs ont pris conscience qu’il existait un lien fort entre leur alimentation et leur santé. Un climat de suspicion très important s’est instauré et s’est amplifié au milieu des années 2010, les peurs vis-à-vis de l’alimentation s’aggravant d’autant que les populations se sont éloignées du monde agricole », résume Pascale Hebel.

Ainsi, depuis une dizaine d’années, l’alimentation est la seconde source d’inquiétude de la population vis-à-vis de sa santé, derrière les accidents de la route, et devant la pollution de l’air notamment. Et en 2018, les trois quarts des Français estimaient prendre des risques avec l’alimentation versus 55 % en 1995. Les consommateurs les plus inquiets sont surtout les plus diplômés, les cadres, les 55-64 ans et les femmes.

Les craintes se sont cristallisées sur certains produits alimentaires « diabolisés ». Dans le même temps, une culture de la « nutrition santé » s’est développée, portée notamment par les femmes, généralement plus sensibles à la prévention.

… et conscience écologique croissante

Autre tendance forte, la sensibilisation écologique s’est traduite par des changements de comportements alimentaires, notamment parmi les plus jeunes mais aussi, là encore, parmi les plus diplômés avec l’émergence « d’une classe socioprofessionnelle voulant se "distinguer" dans l’alimentation par l’achat de bio (+18 % en 20 ans), la réduction de la consommation de viande et l’adoption de nouveaux modes de consommation (achat local, produits "sains", cuisine maison, aliments de saison, en vrac sans emballage…) » .

Cependant, qu’elles soient motivées par des préoccupations santé ou des convictions écologiques, ces aspirations à « manger mieux » se heurtent parfois à la réalité de terrain. Ainsi, « une partie de la population qui adhère pourtant à ces attentes en matière d’alimentation ne sera pas en mesure de les appliquer du fait de moyens financiers limités mais aussi de contraintes liées au mode de vie, au travail, et aux réalités spatio-temporelles ».

Hélène Joubert