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Dossier

Journée de la femme

Métier et maternité, 10 consœurs réagissent

Publié le 04/03/2016
Métier et maternité, 10 consœurs réagissent

Ouverture maternité
VOISIN/PHANIE

C'est le dernier acquis social octroyé par Marisol Touraine aux médecins libéraux. Mais cet Avantage Supplémentaire Maternité a aussitôt fait polémique étant réservé au secteur 1. Dommage, car, de l'avis général des généralistes femmes, cette mesure n'est pas un luxe, tant mère et médecin libéral semblent encore deux statuts difficilement conciliables en ce début de XXIe siècle.

La mesure était espérée depuis longtemps, mais elle aura quand même réussi à susciter certaines réactions agacées chez les médecins. Le 11 février, dans le cadre de la Grande Conférence de Santé, Marisol Touraine puis Manuel Valls ont annoncé vouloir mettre en place une protection maternité supplémentaire pour les médecins installés en libéral.

Dans les faits, la mesure prévoit une extension de l’avantage maternité sur le modèle de celui dont bénéficient les signataires d’un contrat de praticien territorial de médecine générale (PTMG), soit 3 105 euros brut mensuels pendant trois mois. La feuille de route de la Grande Conférence prévoit sa mise en œuvre dès 2017.

Mais là où le bât blesse, c’est que la ministre de la Santé a décidé de réserver cette mesure aux seuls médecins de secteur 1 ou de secteur 2, mais signataires du contrat d’accès aux soins. Il n’en fallait pas plus pour raviver les dissensions entre  syndicats de professionnels de santé. Alors que MG France signe un communiqué pour se féliciter de cette mesure, les autres syndicats de médecins libéraux s’insurgent de ce qu’ils qualifient de discrimination. Pour autant dans leur plateforme commune, l'ensemble des syndicats de médecins libéraux ont tous signé pour demander l’extension de cet avantage maternité à tous les secteurs.

 

Une avancée qui fait débat


[[asset:image:9236 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["A gauche : Dr Corinne LE SAUDER, g\u00e9n\u00e9raliste \u00e0 Olivet.\r\nA droite : Dr Laure LEFEBVRE, g\u00e9n\u00e9raliste \u00e0 Louviers. "]}]]Du côté des intéressées, chacune voit midi à sa porte. Laure Lefebvre, généraliste à Louviers (Eure) et élue de l’URPS Normandie pour MG France, retient surtout le positif dans cette mesure attendue depuis longtemps. « Je ne comprends pas bien cette polémique. En secteur 2, il y a surtout des spés, elles s’installent plus tard parce qu’elles font un clinicat, donc les enfants sont souvent déjà arrivés. C’est davantage une question idéologique que pratico-pratique. Et puis c’est bien que, pour une fois, le gouvernement investisse sur le secteur 1. Cette solution répond déjà à 99 % du problème ».

 

Même son de cloche du côté d’Émilie Frelat, présidente du Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG) qui trouve « logique » cette distinction secteur 1/secteur 2, mais regrette davantage l’oubli d’autres professions de santé : « Pendant toute la Grande Conférence, on nous a dit “on discute tous ensemble” et, au final, on fait des différences. On est choqué que ce soit pour les médecins et pas pour les infirmières, par exemple », remarque-t-elle.

Secteur 1 ou 2 ont les mêmes contraintes


Dr Julie MAZET

Toutes les généralistes ne partagent pas cette position. Julie Mazet installée à Monnetier-Mornex (Haute-Savoie) et membre du bureau de l’Unof-CSMF n'y voit rien d'autre que de l'ostracisme pur et simple : « Les grossesses ont souvent lieu en début d’installation, donc secteur 1 ou 2 rencontrent les mêmes contraintes. Et puis le réserver aux signataires du CAS, c’est une forme de chantage ». « C’est une vraie discrimination avec une mesure faite à partir de la seule demande d’un seul syndicat », renchérit Évelyne Chartier coordinatrice des « Femmes Médecins et Toutes les Libérales » du SML. « En 1995, lorsqu’on a obtenu nos premiers droits sur ce sujet, on disposait d'une enveloppe budgétaire globale. Il y avait le choix entre donner plus aux médecins, mais que ce soit la seule profession libérale à en profiter, ou avoir moins, mais ouvrir les droits à tout le monde. C’est la deuxième option qui l’a emporté et ce qui vient d'être annoncé va à l’encontre de cet esprit », explique le Dr Chartier.

 

Des indemnités largement insuffisantes


La levée de bouclier dans les syndicats polycatégoriels et chez les paramédicaux peut se comprendre : car l'Avantage Supplémentaire Maternité (ASM) annoncée par la ministre devrait faire une vraie différence pour les secteurs 1 dans un domaine qui est aujourd’hui un réel défi dans la carrière des femmes médecins.[[asset:image:9241 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["A gauche : Dr Evelyne CHARTIER, g\u00e9n\u00e9raliste \u00e0 Chamali\u00e8res.\r\nA droite : Dr Emilie FRELAT, pr\u00e9sidente du SNJMG"]}]]

 

Depuis 2006, elles ont le droit à une allocation forfaitaire de repos maternel de
3 218 euros pour l’ensemble de la grossesse et à des indemnités forfaitaires journalières plafonnées à 52,90 euros par jour si elles s’arrêtent au moins deux semaines avant la date d’accouchement et pour au moins huit semaines. Des indemnités largement insuffisantes selon les généralistes : « J’ai été enceinte dans mes premières années d’installation et je n’avais pas de réserve de trésorerie, explique le Dr Lefebvre. L’argent que j’ai touché pour mon congé maternité me permettait de payer la Carmf et l’Urssaf. J’ai eu la chance d’avoir un remplaçant qui assumait les charges du cabinet, mais je ne touchais rien d’autre pour gérer toutes mes autres contraintes financières comme mon loyer. Cette année-là, ma grossesse m’a coûté 10 000 euros. Je suis revenue au bout de cinq mois au lieu des six auxquels j’avais droit, et uniquement pour des raisons financières ».

 

Un bébé d'abord, l’installation ensuite


Ces conditions de congé maternité difficiles poussent les généralistes à préférer la maternité pendant leurs études ou en tant que remplaçantes. « Moi, j’ai eu mes trois enfants pendant les études. Ce n’est pas facile parce qu’il faut bien valider les stages, mais c’est toujours mieux qu’en libéral », explique Corinne Le Sauder installée à Olivet (Loiret) et élue FMF. Le Dr Lefebvre a eu ses trois enfants dans trois situations différentes : un en tant qu’interne, un en tant que remplaçante et le dernier une fois installée. « C’est triste à dire mais, si on me demandait mon avis, je dirais très clairement de privilégier le congé maternité en étant salariée ».

 

Concrètement, aujourd’hui, la situation faite au congé maternité, sans affirmer qu’il est un vrai frein à l’installation des jeunes, repousse certainement l’entrée des généralistes dans le monde libéral. « Beaucoup de jeunes femmes à la fin de leur internat vont faire le choix de continuer en PMI ou dans l’administration pour pouvoir fonder une famille. Il y a un arbitrage qui est fait, certaines restent deux ans de plus à l’hôpital, d’autres vont même prendre des dispos pour allonger leur internat et pouvoir avoir un congé maternité », confie Mélanie Marquet, interne en médecine générale et ancienne présidente de l’ISNI (InterSyndicat national des internes).

 

Grossesses à risque


[[asset:image:9246 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["A gauche : M\u00e9lanie MARQUET, ancienne pr\u00e9sidente de l\u0027ISNI.\r\nA droite : Dr Julie MAZET, g\u00e9n\u00e9raliste \u00e0 Monnetier-Mornex."]}]]Le contexte actuel est à ce point difficile que nombre de consœurs considèrent que le mode de fonctionnement de l’exercice libéral est incompatible avec une grossesse. « C’était impensable pour moi d’imaginer avoir mes enfants en étant installée parce que c’est un stress financier, physique et moral », explique notamment le Dr Mazet qui a eu ses enfants encore étudiante.

Des congés maternité beaucoup moins longs que les autres femmes


Dr Corinne LE SAUDER

La couverture sociale et ses conséquences financières jouent évidemment sur la grossesse des médecins. « Les femmes médecins prennent des congés maternité beaucoup moins longs que les femmes en général. Elles essayent de tenir jusqu’au bout, jusqu’à deux semaines et reviennent souvent le plus vite possible », note Corinne Le Sauder. Mais le métier même des généralistes a déjà une influence sur leur état de santé : « Il est prouvé que les femmes médecins, les infirmières, etc., font des métiers à risque d’accouchement prématuré », souligne Émilie Frelat. À l'en croire, des mesures comme celle de 2006 permettraient donc déjà de faire baisser le pourcentage de naissances avant terme chez les femmes médecins.

 

De nouvelles aspirations qui appellent de nouvelles protections


L’injustice ressentie par les femmes médecins par rapport à cette situation est renforcée par la fonction qu’elles exercent. « En tant que généralistes, on a quand même une activité quasiment de service public et ce n’est pas normal qu’on n’ait le droit à rien », regrette le Dr Lefebvre. « C’est incroyable que moi qui prends soin de la santé des gens, je sois potentiellement moins bien soignée que ceux que je prends en charge », ajoute Émilie Frelat.

 

Si les difficultés liées à la maternité sont une réalité depuis toujours pour les généralistes installées, la féminisation et les aspirations de la nouvelle génération les ont peut-être rendues encore plus intolérables. « Les jeunes veulent davantage allier vie de famille et vie professionnelle. C’est une considération de toute la profession, pas seulement des femmes, et ça n’était pas le cas il y a trente ans. Finalement, c’est plus une évolution sociétale qu’autre chose », note la présidente du SNJMG.

[[asset:image:9251 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["Dr Nicole BEZ, g\u00e9n\u00e9raliste retrait\u00e9e \u00e0 Lyon"]}]]

Le Dr Mazet abonde dans son sens : « La nouvelle génération rejette les conditions d’exercice actuelles. Elle veut travailler un peu moins pour privilégier la qualité à la quantité. Pouvoir assumer la maladie, le congé maternité, les vacances, c’est une question de qualité de vie », explique-t-elle. Mais pour le Dr Nicole Bez, généraliste lyonnaise récemment retraitée et anciennement chargée de la mission femmes médecins à MG France, la classe d'âge n'explique pas tout : « Je pense que ce n’est pas une question de génération mais de contexte. L’environnement a changé. Avant, il y avait trop de médecins, donc on était obligé de travailler le samedi matin, d’arpenter le quartier. Quand je me suis installée, je n’avais, au début, que 6 patients par jour ; ma fille qui démarre en a déjà 25. Je pense que, si nous avions eu les mêmes conditions, nous aurions eu les mêmes attentes et la même façon de faire », explique-t-elle.

Le congé maternité - et, plus largement, la protection sociale dans son ensemble - est donc un vrai enjeu pour les années à venir qui peut faire une vraie différence dans la capacité de la profession à se renouveler et assurer son futur.