Les populations en situation de précarité ont déjà payé un tribut disproportionné avec la pandémie et leur santé sera impactée encore longtemps. Selon l'enquête Précarité et séroprévalence menée par Médecins sans frontières (MSF), Épicentre et l’Institut Pasteur entre le 23 juin et le 2 juillet 2020, la circulation du virus a été exacerbée dans les populations précaires, en raison de la promiscuité des lieux de résidence, de comorbidités plus fréquentes (obésité, diabète…) et de l'impossibilité de se confiner ou de télétravailler pour les personnes qui occupaient des postes essentiels (agents d'entretien, caissiers, aide-soignants, etc.).
L’étude a porté sur 818 personnes fréquentant deux sites de distribution alimentaire, deux foyers de travailleurs et dix centres d’hébergement d’urgence. La séroprévalence du Covid-19 était estimée de 23 à 62 % au sein des centres d’hébergements d’urgence, à 18 % et 35 % dans chacun des deux sites de distribution alimentaire et à 82 % et 94 % dans les deux foyers de travailleurs. Des chiffres à comparer avec la séroprévalence de la population générale qui est de l'ordre de 10 % en Île-de-France.
Pour Isabelle Grémy, directrice de l'Observatoire régional de santé (ORS) d'Île-de-France, « la deuxième et la troisième vagues de l'épidémie auront sans doute été un peu moins socialement marquées, mais je pense qu'elles le seront toujours fortement. »
Précarisation et inégalités
Des effets à plus long terme sur la santé sont aussi à craindre, par l'entremise de l'augmentation de la précarité. Dans son rapport de janvier dernier, Oxfam France a constaté que l'épidémie avait creusé les inégalités. Les bénéficiaires de l'aide alimentaire sont en effet passés de 5,5 à 8 millions en un an, le nombre d’allocataires du RSA a augmenté de 8,5 % par rapport à octobre 2018. Dans l’intérim, 715 000 emplois ont été supprimés en l’espace de quelques semaines. Les premières victimes de la crise sont les personnes qui éprouvaient déjà des difficultés : travailleurs précaires, jeunes, migrants… Un tiers des ouvriers et un quart des personnes gagnant moins de 1 200 euros nets par mois déclarent avoir perdu une part significative de leurs revenus.
Or, il existe un lien organique très fort entre précarité et état de santé comme a pu le constater l'ORS d'Île-de-France qui compile les données CépiDc, ALD et du système national des données de santé (SNDS). Si l'on consulte leur site Intersanté, on constate que « la mortalité par cancer ou le diabète suit la même logique géographique que la précarité », explique Isabelle Grémy.
En prenant les exemples extrêmes des cantons d'Aubervilliers, de Saint-Denis ou de Sarcelles, on constate que les forts taux de chômage, de personnes de plus de 15 ans sans diplôme et de populations touchant les RSA s'accompagnent d'une espérance de vie plus faible mais aussi de taux standardisés de mortalité par cancer plus élevés et de pathologies liés au tabac ou à l'alcool plus fréquentes.
Ainsi, l'espérance de vie à la naissance du canton de Villeneuve-Saint-Georges, l'un des plus pauvres de l'Île-de-France, est de 76,94 ans pour les hommes et 83,39 pour les femmes, soit respectivement 8 ans et 6 ans de moins que le canton Paris 16e, qui est lui l'un des plus riches. Cet écart se confirme en ce qui concerne les espérances de vie à 35 et 60 ans.
Dégradation retardée
La relation précarité/état de santé n'est toutefois pas instantanée, comme l'explique Isabelle Grémy. « Il existe des “filets de protection” en France qui amortissent les changements de crise trop brusques, mais nous sommes aussi un pays où l'on met plus de temps à s'en remettre », analyse-t-elle. Selon les données lors de la crise financière de 2008, l'impact sur la santé est en deux temps : « Au début, la santé a tendance à s'améliorer car il y a moins d'accidents et de pathologies liées au travail, mais aussi moins d'accidents de transport, explique Isabelle Grémy. Mais dans un deuxième temps, il y a l'insécurité économique et la pression psychologique de ne pas avoir de revenu. »
Une autre grande inconnue reste les conséquences des déprogrammations hospitalières. « Des gens ont renoncé aux soins, poursuit Isabelle Grémy. Il est possible que le rattrapage en matière de diagnostic soit socialement différencié, ne serait-ce que parce que les territoires caractérisés par la précarité sont ceux où la tension hospitalière a été la plus forte. Par ailleurs, la santé n'est pas la première préoccupation des populations dont la situation sociale s'est aggravée. »
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