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Dossier

Médecine humanitaire

Vacciner les plus précaires, un défi logistique et humain

Par Damien Coulomb - Publié le 11/06/2021
Vacciner les plus précaires, un défi logistique et humain

La stratégie de « l’aller vers » est mise en avant pour la vaccination anti-Covid des sans-abri
Phanie

Les sans domicile fixe sont plus difficiles à toucher par la vaccination anti-Covid. Alors que la disponibilité des doses n’est plus un frein, d’autres obstacles logistiques se dressent pour immuniser un public connu pour son observance aléatoire. L’espoir déçu d’un vaccin à une seule dose avec le Janssen, désormais réservé aux plus de 55 ans, n’a rien arrangé.

Comment faire pour que les sans domicile fixe soient eux aussi protégés contre le Covid ? La vaccination des publics précaires « est très difficile à organiser », confirme la Dr Sylvie Salaün, médecin généraliste qui assure une consultation à l’espace solidarité insertion tenu par le Samusocial de Paris.

« Pour les grands exclus, le Covid est quelque chose de lointain, poursuit-elle. De notre côté, il y a le risque de perdre des doses à chaque flacon ouvert. On ne peut pas non plus les envoyer dans les grands centres de vaccination, car on n’est pas sûr que les rendez-vous pris seront honorés. C’est une population difficile à manager. Nous devons nous adapter à eux et pas l’inverse. »

Pourtant, le public de rue ne peut faire l’impasse d’une protection par la vaccination. S’ils ne sont pas toujours les plus exposés au SARS-CoV-2,  « ils ont des problématiques de vieillissement accéléré et une espérance de vie inférieure à la moyenne, et des taux d’hospitalisation élevés ont été observés dans les clusters apparus en hébergement collectif », explique la Dr Armelle Pasquet-Cadre, directrice du pôle médical et soins au
Samusocial de Paris.

Des initiatives locales

La stratégie de « l’aller vers », particulièrement adaptée en santé publique pour les personnes éloignées du système de soins, est souvent citée pour la vaccination anti-
Covid des sans-abri. Mais, jusqu’à présent, la mise en œuvre ne repose que sur la bonne volonté d’acteurs de terrain. Ainsi, Aurore, l’une des principales associations parisiennes et la première à vacciner dans la capitale, a lancé sa campagne d’injections le 27 avril. Plus d’une centaine de doses de vaccin contre le Covid-19 ont été administrées chez des personnes en état de grande précarité et l’association, faute de financement, regrette de ne pouvoir le faire qu’à raison d’une demi-journée de consultation par semaine.

Les associations, comme Aurore ou Médecins sans frontières, espèrent obtenir des fonds publics dédiés, les initiatives actuelles étant réalisées sur leur fonds propre. Un financement complémentaire, notamment de l’Agence régionale de santé (ARS), de la mairie de Paris et de la Région Île-de-France, permettrait en particulier de déployer des équipes de vaccination mobiles. Des dispositifs qui seront sans aucun doute nécessaires pour toucher les quelque 3 500 personnes vivant dans la rue à Paris.

La problématique de la deuxième dose

« Au début, nous avions très peu d’injections par séance car nous ne disposions que du vaccin d’AstraZeneca dont les usagers se méfient, explique la Dr Cécile Clarissou en charge du programme de vaccination au sein de l’association Aurore. Depuis que nous avons accès au vaccin de Pfizer, nous avons pu procéder à une trentaine d’injections par séance ».

Jusqu’à présent, seules des premières doses ont été réalisées, et maintenant se pose la question de la seconde injection. « On misait beaucoup sur l’arrivée du vaccin de Janssen à une seule dose, précise la Dr Pasquet-Cadre. Depuis que ce dernier a été réservé aux plus de 55 ans, nous devons utiliser des schémas vaccinaux à deux doses espacées de 42 jours. Personnellement, je pense qu’il faudra se poser la question d’une vaccination à une seule dose pour ce public. »

Le Samusocial de Paris a également mis sur pied un programme de vaccination pour les résidents hébergés dans ses 170 lits halte soins santé. « Notre pharmacie centrale a géré la logistique et on a pu élargir notre action à plusieurs de nos centres », détaille la Dr Pasquet-Cadre. Tous les résidents ont reçu leur première dose et commencent à recevoir la seconde. « On est confrontés au défi de l’adhésion, au risque de ne pas réussir à les revoir pour la seconde injection, poursuit-elle. Lors de notre deuxième après-midi de rendez-vous, nous sommes tout de même parvenus à 65 % de rendez-vous honorés, une taux proche de celui de la population générale. »

De nouvelles perspectives

De son côté et dès le mois de janvier, l’association Aurore a mis sur pied une organisation avec fiches de traçabilité et installation d’un réfrigérateur autonome et verrouillé. « Au début de l’année, il était compliqué de mettre en place un tel programme car le circuit des vaccins était très encadré, explique la Dr Clarissou. Les vaccins devaient passer obligatoirement par des établissements congélo-porteurs. Il a fallu attendre que le vaccin d’AstraZeneca arrive dans les officines et les cabinets médicaux pour commencer le programme. »

Les nouvelles conditions de conservation ouvrent de nouvelles perspectives. Le vaccin Moderna est depuis le 17 mai disponible en ville : décongelé et non ouvert, il peut être conservé pendant 30 jours dans le réfrigérateur (entre 2 et 8 °C) et pendant 12 heures entre 8 et 25 °C. Et, à la même date, pour le Pfizer/BioNTech, le délai maximum pour la conservation au réfrigérateur (entre 2 et 8 °C) après décongélation est passé également à un mois (contre cinq jours auparavant), même s’il est encore réservé aux centres de vaccination. L’association vaccine avec du Janssen et du Pfizer.

Lors de la consultation à Aurore, un certificat de vaccination avec une date flottante est remis aux patients et un chargé de mission doit recontacter les personnels accompagnants au moment de la deuxième dose. « On aura une déperdition plus grande que dans la population générale, concède la Dr Clarissou. Mais plusieurs facteurs sont encourageants comme le fait qu’une injection unique suffise à protéger les sujets jeunes ou que, chez une partie des populations précaires, la question du pass sanitaire va les inciter à recevoir leur deuxième injection pour pouvoir se rendre dans leur pays d’origine. »

D.C.