L’usage de produits inadaptés, en remplacement des laits infantiles, pour l’alimentation des jeunes enfants est de plus en plus fréquent, constate le Pr Tounian. Leurs conséquences, illustrées par quelques vignettes cliniques, sont telles que l’on peut parfois parler, estime le Pr Tounian, de maltraitance nutritionnelle.
Shirel est alimenté dès sa naissance avec un hydrolysat poussé de protéines du lait de vache (antécédents d’allergie aux protéines du lait de vache chez les frères aînés.) L’apparition d’un eczéma à un mois de vie motive un remplacement de l’hydrolysat par une boisson végétale à base de riz. L’eczéma persiste et il se constitue un retard staturopondéral qui motive une hospitalisation. Le bilan biologique montre une anémie par carence martiale et une hypoprotidémie. Une renutrition avec un lait infantile permet une reprise de la croissance et une disparition des lésions cutanées qui étaient probablement liées à une carence en zinc.
Meir, 4 mois et demi, est hospitalisé pour une asthénie avec pâleur et œdèmes des membres inférieurs. Le bilan révèle une anémie très sévère par carence martiale et une hypoalbuminémie majeure. On apprend que depuis l’âge de 2 mois Meier est alimenté avec un jus de riz bio donné en remplacement du lait infantile pour « traiter » des coliques. L’enfant est transfusé et réalimentée avec un hydrolysat de protéines. L’évolution est favorable.
Ethan est hospitalisé en réanimation pour un état de mal convulsif. Il présente des œdèmes de membres inférieurs, une instabilité hémodynamique et sur le bilan biologique une anémie et une hypocalcémie. Il a été nourri au sein pendant les 15 premiers jours de vie puis successivement au lait de châtaigne, au lait d’amande, enfin au lait de jument. Les légumes ont été introduits à 2 mois. La prise en charge en réanimation permettra chez cet enfant également de normaliser la situation.
211boissons végétales recensées
En 2 011 le CIQUAL (Centre d’information sur la qualité nutritionnelle des aliments) a analysé l’ensemble des boissons d’origine végétale apparentées à des laits disponibles sur le marché français. La majorité des 211 produits recensés sont à base de soja (n = 92) ou de riz/noix/céréales (n = 119). Les laits non bovins sont relativement peu nombreux : un sous forme liquide (chèvre) et 4 en poudre (chèvre, brebis, jument et ânesse). Soixante-quinze produits seulement portent un étiquetage nutritionnel plus ou moins détaillé présentant des données relatives à l’apport énergétique, aux teneurs en macronutriments et en quelques minéraux. Ces données nutritionnelles révèlent de nombreuses divergences par rapport aux valeurs seuils fixées par l’arrêté d’avril 2008 relatif à la composition des préparations pour nourrissons et des préparations de suite ; les divergences les plus fréquemment observées sont des apports énergétiques inférieurs au seuil minimum, des apports protéiques insuffisants ou excessifs, des apports lipidiques inférieurs aux seuils et des apports sodés inadaptés.
Une contrefaçon légale
Aux parents qui utilisent ces laits ou seraient tentés de le faire il faut bien entendu en indiquer les risques pour la santé de l’enfant, plaide le P. Tounian leur monter également qu’ils constituent une contrefaçon des laits infantiles, avec un packaging très proche pour entretenir l’ambiguïté. Une contrefaçon élaborée et aussi légale puisqu’aucune des boissons identifiées par le CIQUAL ne porte la dénomination « préparation pour nourrissons » ou « préparation de suite ». Le coût de ces boissons est par ailleurs très élevé par rapport aux laits infantiles. La plupart des parents qui utilisent ces boissons végétales pour nourrir leurs enfants le font parce qu’ils sont intimement persuadés que le lait est mauvais pour la santé. Plutôt que de tenter de revoir leur point de vue, il est plus utile de les informer de l’existence de préparations pour nourrisson à base de soja ou de riz qui peuvent être une alternative pour l’alimentation de leur enfant.
Quant aux lait d’origine animale lait de chèvre, d’ânesse, de brebis de jument… ils ne sont pas non plus adaptés au nourrisson. Le lait de chèvre par exemple induit des carences en vitamine B12 dont le premier cas a été décrit par le Pr Jean Bernard en 1951. Et ils n’ont aucun intérêt en cas d’allergie puisque 92 % des allergiques au lait de vache le sont également au lait de chèvre.
Végétarisme et végétalisme
La prévalence du végétarisme et du végétalisme chez les enfants est difficile à évaluer mais il semble, que la mode s’étende également. Les enfants végétaliens souffrent essentiellement de carence en vitamine B12, vitamine d’origine exclusivement animale, qui peut à l’extrême se traduire par des signes neurologiques (sclérose combinée de la moelle). C’est ce qu’illustre le cas de Dan 13 ans, végétalien, dont la mère est elle-même végétalienne, hospitalisé pour une paraplégie des membres inférieurs. L’EMG montre des signes évoquant une sclérose combinée de la moelle. Le bilan biologique révèle une carence en vitamine B12. Un traitement de recharge en vitamine B12 et l’abandon du régime végétalien permettent une récupération partielle de la motricité des membres inférieurs.
Enfin par souci de prévention de l’obésité, certains parents, de plus en plus nombreux, estime le Pr Tounian soumettent leurs enfants à une alimentation très restrictive. Ainsi Léa 2 ans a été allaitée par sa mère puis alimentée avec un lait infantile biologique. La diversification alimentaire a été faite à l’âge de 6 mois en excluant tous les aliments que la mère jugeait susceptible de faire grossir… jusqu’à ce qu’apparaisse une cassure staturopondérale. La reprise d’une alimentation à la demande permet la reprise d’une croissance normale. Aucune restriction alimentaire n’est justifiée chez les enfants non prédisposés à l’obésité, rappelle le Pr Tounian. La majorité des enfants, quelle que soit leur alimentation, ne devient pas obèse. »
D’après une communication du Pr Patrick Tounian (hôpital Armand Trousseau, Paris)
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