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Dossier

Trop de feuilles de soins papier...

Télétransmission : qu’est-ce qui coince encore ?

Publié le 18/04/2014
Télétransmission : qu’est-ce qui coince encore ?


VILLAREAL / BSIP

Cocorico ! Si l’on en croit le bilan de la ROSP annoncé la semaine dernière, la télétransmission aurait littéralement conquis les cabinets de médecine générale. Pourtant, le recours aux feuilles papiers reste non négligeable. Et, visiblement, ça agace dans certaines CPAM. Pourquoi ? La faute au système mis en place, selon une thèse récente qui a épluché les motifs de non-télétransmission en médecine générale.

L’affaire a fait grand bruit il y a un peu plus d’un mois. Tout a commencé par un tweet posté sur le réseau social à l’oiseau bleu. L’internaute @docteurmathieu y a publié une lettre qu’il venait de recevoir de la CPAM des Hauts-de-Seine l’informant qu’elle n’accepte plus les feuilles de soins non télétransmises à partir du 1er janvier 2014. Stupeur pour le jeune généraliste. Pour couronner le tout, la CNAM l’invite à « télétransmettre en mode dégradé en l’absence de Carte Vitale de l’assuré ou du bénéficiaire ». Il s’agit, en fait, de télétransmettre des feuilles de soins électroniques sans Carte Vitale avec un minimum d’informations sur le patient saisies à la main par le médecin sur son logiciel.

La galère du « mode dégradé»

Très vite, les réactions de ses confrères fusent sur la toile. Et le Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG) saisit la balle au bond en accusant la CNAM d’« abus de pouvoir ». Le syndicat rappelle au passage qu’ « aucune disposition de la Convention n’empêche l’établissement d’une feuille de soins papier (FSP) ». Un acharnement que n’a pas compris le @docteurmathieu qui se dit « plein de bonne volonté vis-à-vis de la Sécu ».

« En tant que geek, je me suis “amusé” en 2012 à paramétrer mon logiciel de télétransmission pour faire du “dégradé”. Ce n’est pas une mince affaire, il y a un tas de codes à entrer, la moindre erreur se solde par un non-paiement », explique le généraliste. Mais, cette fois, la Sécu lui réclame des feuilles de soins papier en plus des FSE dégradées pour authentification. Appliqué, le jeune médecin les envoie, mais pas dans une

enveloppe avec la mention « Télétransmissions » comme le lui explique la Caisse pour justifier son non-paiement.

Le Dr Mathieu décide donc d’abandonner les feuilles « dégradées » et de repasser aux FSP pour ceux qui n’ont pas de Carte Vitale (AME et CMU). C’est à ce moment qu’il reçoit la lettre de la CPAM... Avec un taux de télétransmission à 93%, le praticien ne comprend pas l’attitude de la caisse. Et il n’est pas le seul. Dans le département, un bon nombre de médecins la reçoivent également. Ce qui déclenche l’ire des syndicats. Face à cette réaction, la CPAM des Hauts-de-Seine rétropédale et assure poursuivre la gestion des FSP. Soulagement dans les cabinets médicaux.

 

Imprimés au compte-gouttes

Si l’histoire du 92 finit bien, les caisses n’en sont pas à leur premier coup d’essai. En début d’année, c’était MG France qui n’appréciait guère que certaines caisses « délivrent désormais au compte-gouttes les imprimés papier qui sont nécessaires à l'exercice quotidien des médecins » et leur imposent de se déplacer pour récupérer les suivantes une fois le premier lot épuisé. Dans le Tarn, le président du SNJMG, Théo Combes, et des confrères avaient eux aussi reçu un courrier de la Sécu pour les informer qu’il leur faudrait désormais chercher les feuilles de soins directement à la caisse.

Aujourd’hui, tout semble être rentré dans l’ordre. Mais, attention, la récente validation par le Conseil d’Etat du dispositif conventionnel de sanctions « en cas de non-respect de manière systématique de l’obligation de transmission électronique » pourrait amener certaines caisses à titiller de nouveau les médecins sur ce sujet...

Pour Claude Leicher, le président de MG France, c’est très clair. « Il y a tout simplement une incitation financière pour les directeurs des caisses avec le taux de télétransmission ». Une explication que se garde bien de confirmer le directeur de l’Assurance Maladie, Frédéric Van Roekeghem. Ce dernier aurait assuré en off auprès de sources syndicales qu’il ne s’agissait pas de directives nationales…

Le taux de télétransmetteurs stagne

Il faut dire qu’en dépit des bons résultats du volet « organisation du cabinet » de la ROSP en progression de 12 points l’an passé, le taux de télétransmetteurs stagne depuis plusieurs années. Et, alors qu’au niveau national, le pourcentage en février 2014 des généralistes qui télétransmettent est de 87%, on constate une forte disparité entre les départements. Par exemple, il est de 67,6% à Paris contre 97,67% en Haute-Saône. Dans le peloton de tête figurent également le Territoire de Belfort (97,44%), les Ardennes (97,14%) et le Lot (97,06%). Parmi les « mauvais élèves », on relève les Hautes-Alpes (70,94%), la Corrèze (79,02%) ou encore la Manche (79,62%).

 

Au-delà, dans ce paysage de télétransmetteurs qui n’évolue guère, les généralistes équipés continuent par ailleurs de produire une proportion non négligeable de feuilles de soins papier sur laquelle la Cnamts ne communique guère. Pourquoi ces impondérables ? Dans sa thèse sur « Les études des motifs de non-télétransmission des médecins en France » qu’elle présentera en juin, Anne-Marie Troptard examine à la loupe les raisons qui ont contraint les généralistes à faire une FSP. Et elle montre que de nombreuses causes empêchent même les plus volontaires parmi les généralistes de télétransmettre.

Parmi les 2 426 médecins qui ont répondu à son questionnaire, 38,7% ont répondu que c’était parce que le patient n’avait pas de Carte Vitale et attendait que la Sécu la lui délivre. La deuxième réponse qui revient le plus fréquemment (36,8%) est l’oubli de la Carte Vitale en consultation. La visite à domicile est évoquée pour 5,8% d’entre eux. Il y a aussi les patients qui ne peuvent pas bénéficier de cette carte comme les bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (AME) ou les personnes qui ne figurent pas sur la Carte Vitale familiale (4,1%). Enfin, les problèmes techniques liés au lecteur SESAM-Vitale ou logiciel expliquent 4% des recours à la bonne vieille feuille de soins papier...

Pour l’auteur de la thèse, les raisons qui ne permettent pas aujourd’hui d’atteindre les 100% de télétransmission relèvent du dispositif SESAM-Vitale et non plus de l’adhésion des médecins. Selon le panel qu’elel a sollicité, 8,47 % de ces derniers sont toujours non-convaincus par la télétransmission, 52,22 % ont toujours trouvé la balance avantages/inconvénients acceptable et 24,49 % ont toujours soutenu le projet. La jeune généraliste en conclut que toutes les situations qui menaient à l’écriture d’une FSP étaient liées de près ou de loin à la Carte Vitale elle-même. De là à la supprimer et à trouver d’autres formes de télétransmission, il n’y a qu’un pas !