Article réservé aux abonnés
Dossier

Coffee-shops : la guerre du cannabidiol est déclarée

Par Damien Coulomb - Publié le 25/06/2018
Coffee-shops : la guerre du cannabidiol est déclarée

cannabidiol
SEBASTIEN TOUBON

Dès l'ouverture, la file d'attente s'allonge rue Amelot, devant la porte de Cofyshop, le premier établissement parisien à vendre des produits CBD, surnommé « Cannabis légal » car dénué de THC.

Au milieu d'un public majoritairement jeune et masculin, une vieille dame portant des attelles est venue trouver de quoi calmer ses douleurs. Les boutiques qui se multiplient depuis quelques semaines se gardent pourtant bien d'attribuer des allégations de santé aux produits CBD vendus sous forme d’herbe, de haschich de liquide pour vapoteuses, de sirop, d’infusion voire d'huiles de massage. Leur business repose sur un jeu d'équilibre, puisque les produits qu'ils vendent sont légaux à condition de respecter la règle du taux de THC inférieur à 0,2 % (voire l'encadré « ce que dit la loi »), et à condition de ne pas attribuer des vertus thérapeutiques à sa marchandise, au risque de tomber sous le coup d'une accusation d'exercice illégale de la pharmacie.

Pour Alex, séropositif pour le VIH, il n'y a pas d'ambiguïté : le CBD qu'il se procure est à visée d'automédication : « Cela calme mes douleurs et mes angoisses et je dors mieux, explique-t-il au « Quotidien », on peut se procurer du CBD sur Paris depuis bien avant les coffee-shops. » Alex ne consomme pas de CBD sur la base d'un conseil médical, toutes les informations qu'il a sur le sujet proviennent de site et de forums communautaires.

Les entrepreneurs qui se sont engouffrés dans ce trou de souris juridique sont parfois bien éloignés du milieu militant de la légalisation du cannabis : le fondateur de Cofyshop, Joachim Lesquy, n'est autre que l'homme à qui l'on doit l'ouverture de la première maison close parisienne de poupées sexuelles. Ces coffee-shops ne sont pas du goût des autorités. La ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a affiché à la fois sa volonté de rouvrir le dossier du Cannabis thérapeutique, et de faire fermer ces boutiques qui ont « détourné le droit en disant que leurs cigarettes contiennent moins de 0,2 % de THC ».

Mise en garde de la MILDECA

Dans une récente mise au point sur ce dossier, la MILDECA rappelle que « le taux de 0.2 % de THC n’est pas un seuil de présence de THC dans le produit fini mais dans la plante elle-même. Or, des contrôles réalisés dans certains produits présentés comme contenant du CBD ont révélé la présence de THC. La présence de THC dans les produits finis, quel que soit son taux, est interdite. »

La MILDECA note aussi que certains fabricants et revendeurs jouent sur une certaine confusion entre produits contenant du CBD et le cannabis, ce qui peut être assimilé à une « promotion du cannabis ». Même chez les défenseurs d'un assouplissement de la législation sur le Cannabis, notamment thérapeutique, la pilule ne passe pas. « Ils ne savent pas ce qu'ils vendent, il n'y a aucune transparence et ça ne peut que déraper », s'emporte le Dr Christian Sueur, psychiatre au centre hospitalier Le Viniatier, à Lyon, et cofondateur du groupe de recherche et d'étude sur le cannabis.

« Sur la forme, je donne raison à la ministre : il faut fermer ces établissements, renchérit le Pr Amine Benyamina, addictologue à l'hôpital Paul Brousse et président de la fédération française d'addictologie. Mais sur le fond, je n'oublie pas que ces coffee-shops sont la résultante perverse d'une loi sur les stupéfiants qui ne protège pas les plus vulnérables et ne lutte pas efficacement contre les trafics. La régulation du cannabis est inéluctable ! C'est le fruit d'une poussée mondiale et la France ne fait que reculer pour mieux sauter. »

L'autre problème posé par le CBD, tel qu'il est vendu actuellement, est l'absence de message de santé publique l'accompagnant. « Environ 90 travaux de bonne qualité ont montré que le CBD n'est pas addictogène, explique le Dr William Lowenstein, président de SOS addiction, pour autant, il occasionne des troubles de la vigilance » incompatibles avec la conduite, qui « nécessiteraient d'être indiqués et rappelés sur les emballages et les lieux de vente ».

Qu'en disent les producteurs ?

Certains des acteurs qui se positionnent sur des produits contenant du CBD se déclarent également en faveur de davantage de régulations. « Nous sommes pour un cadre législatif et explicatif le plus clair possible, affirme Claire Dixsaut responsable des relations publique de l'entreprise Ambrosia, proposant des liquides pour cigarette électronique contenant du CBD. Plus le consommateur a une vision claire, moins il ira chercher des liquides louches, et moins il fera la confusion entre le CBD et le THC. Le surnom de "cannabis légal" est une aberration. »

Thibeau Ménigoz, ingénieur dans le génie civil nucléaire, s'est lui reconverti dans le secteur de l'utilisation thérapeutique du Cannabis. La marque qu'il est en train de lancer, « César et Victoria », est un pari sur l'évolution de la législation comme il l'explique au « Quotidien » : « Nous souhaitons nous positionner dès maintenant et avons entamé des discussions avec le centre anti douleur du CHRU de Lille. » Le jeune homme a pour ambition de convertir certaines friches de l'industrie textile des Haut-de-France en plantation. « Pour cela nous avons besoin d'un cahier des charges strict fixé par les médecins et par l'État. »

Le CBD se situe dans une « zone grise », estime le Dr Lowenstein, « ce n'est ni un stupéfiant, ni un médicament. Je ne crois pas au libéralisme vertueux mais il faudrait trouver une équation qui permet de garder le CBD assez librement produit et distribué mais sans passer par les lourdes fourches caudines de la réglementation du médicament. On pourrait imaginer une troisième voie et le considérer comme un aliment afin qu'il puisse y avoir une régulation de la qualité. »

Damien Coulomb