Cannabis thérapeutique, la recherche tente de redresser la tête en France

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Publié le 25/06/2018
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cannabis therapeutique

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Crédit photo : PHANIE

En ouverture du colloque international sur le cannabis médical, qui s'est tenu à Paris le 1er juin dernier, les psychiatres Christian Sueur du centre hospitalier Le Vinatier, à Lyon et Rodolphe Ingold, ont annoncé de la création du premier groupe de recherche et d'étude cliniques sur les cannabinoïdes (GRECC).

« Nous sommes une vingtaine de membres issus de l'addictologie et de la réduction des risques, détaille le Dr Sueur, mais aussi des pharmacologues, des spécialistes du sida ou même des sociologues comme Anne coppel. » Le GRECC va, dans un premier temps, mettre en ligne des bibliographies thématiques sur les différentes indications du cannabis thérapeutique. Parce qu'il est déjà disponible sous plusieurs formulations et qu'il n'est pas inscrit sur la liste des stupéfiants (voire notre encadré « ce que dit la loi »), c'est le cannabidiol (CBD) qui bénéficiera de l'attention des chercheurs, en attendant des évolutions de la législation sur d'autres cannabinoides (TCH, cannabinol, cannabigerol, cannabichromène, cannabicyclol etc.). « La deuxième étape consistera à comparer dans la littérature internationale les associations THC/CBD avec d'autres combinaisons, et notamment celles contenant les terpènes, c'est-à-dire avec des traitements comportant l'ensemble des composants actifs du cannabis », explique le Dr Sueur. Deux projets d'essais cliniques sont dans les cartons du groupe : un premier sur l'utilisation du CBD dans la prévention des douleurs neuropathiques des patients VIH, dans un service de médecine interne de l'AP-HP, et un autre sur son usage dans différentes indications en psychiatrie de l'adulte et de l'enfant.

Le Dr Sueur précise que « les autorisations et les financements de ces travaux dépendront du soutien du ministère ». Les membres du GRECC se veulent optimistes, après les déclarations de la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn qui, a assuré, le 24 mai dernier, vouloir « relancer l'évaluation du cannabis thérapeutique ». La tenue des essais dépendra aussi de la capacité des promoteurs à se fournir en produits qu'il s'agisse de Sativex ou d'extraits de CBD achetés dans les pays producteurs comme le Canada. « Nos laboratoires universitaires peuvent vérifier les dosages, assure le Dr Sueur. L'intégrité et l'absence de champignon et de polluants dans ces produits. Le mode d'administration privilégié reste l'inhalation. La piste de l'ingestion peut se concevoir pour des analgésies longues. »

Le retard Français

La France a pris du retard dans le domaine de la recherche sur le cannabis médical. Plus d’une vingtaine d’essais cliniques visant à évaluer l’utilisation du CBD dans plusieurs indications sont enregistrés dans le registre de l’Union européenne, dont aucun en France. De même, 18 études visent à évaluer l’intérêt du THC dans des indications aussi diverses que le traitement des tics moteurs, la sclérose en plaque, la réduction des effets indésirables de la chimiothérapie ou pour évaluer les interactions possibles avec d’autres médicaments. Aucune étude de ce genre n’est réalisée en France.

Pour le Pr Amine Benyamina, président de la fédération française d'addictologie et psychiatre à l'hôpital Paul Brousse (AP-HP), le débat sur le cannabis thérapeutique est « pollué par celui sur la légalisation du cannabis ». Le Pr Benyamina avoue son incompréhension sur la manière dont le dossier est géré par les pouvoirs publics : « Nous avons une pharmacopée avec des produits bien plus dangereux comme les benzodiazépines ou les opiacés qui sont pourtant autorisés ! »

De nouvelles indications envisagées

Les défenseurs du cannabis thérapeutiques attribuent également des vertus anxiolytiques au CBD. En 2012, une étude menée chez le rat par le Dr Ana María Martín-Moreno (département de neurobiologie cellulaire, moléculaire et développemental de l'institut Cajal, à Madrid) avait montré dans « Journal of Neuroinflammation » que l'administration chronique de cannabinoïdes réduisait l'accumulation de peptide amyloïde bêta et l'inflammation chez des souris atteintes de la maladie d'Alzheimer. En Californie, les travaux du Dr Pierre-Yves Desprez (California Pacific Medical Center, San Francisco) semblent indiquer une activité anti métastatique du cannabidiol, via son intéraction avec le gène id-1.

En ce qui concerne les utilisations en santé mentale, « la schizophrénie résistante aux neuroleptiques classiques, la dépression et les troubles post-traumatiques » constituent des champs de recherche, selon le Dr Sueur. « Chez les enfants, très précautionneusement, on pourra se poser un certain nombre de questions dans certaines indications comme les autistes qui s'automutilent chez qui seule des fortes doses de neuroleptiques fonctionnent pour l'instant », complète-t-il. Dernière possibilité envisagée par des addictologues comme le Dr William Lowenstein (président de SOS Addiction) : se servir du CBD comme d'un moyen de se passer du cannabis entier chez les personnes qui en consomment à but d'automédication.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9676