L’objectif déclaré de la ministre de la Santé était de rendre la confiance dans les vaccins aux Français. Les réseaux sociaux ne confirment pas vraiment qu’il est atteint depuis l’adoption de l’article 34 du PLFSS, au début du mois de décembre. Tout au contraire. Jamais les contre-vérités n’ont autant fait cliquer sur la toile.
Délire complotiste
Best of du buzz antivax : les industriels veulent prendre le contrôle du monde et inoculent pour ce faire des substances toxiques associées aux vaccins. L’objectif de l’élite est de réduire la population mondiale des deux tiers et les vaccins constituent l’arme secrète de ce génocide sans précédent dans l’histoire... Les vaccins contre la polio et la variole rendent stériles et cette stérilisation, expérimentée au Nicaragua, a été décidée par Bill Gates… La preuve que tout cela n’a rien de délirant, c’est que les nouveaux génocidaires, prêts à tout pour accomplir leur crime, n’ont pas hésité à éliminer Michael Jackson, qui s’apprêtait à lancer l’alerte au sujet des vaccins !
Ce délire complotiste au sujet des vaccins et des reptiliens qui en ont fait leurs armes devrait ne convaincre que les illuminés. Mais il reçoit des renforts inattendus. « Nous risquons avec les vaccins d’empoisonner petit à petit toute la population qui va nous succéder, les enfants, les bébés », alerte le Prix Nobel de médecine Luc Montagnier, virologue, qui pointe des « risques de mort subite du nourrisson. » Et l’ex-professeur de cancérologie Henri Joyeux d’en remettre une couche, annonçant : « Nous entrons dans une sorte de dictature vaccinale ! »
En dépit de leur condamnation par une centaine de membres des Académies des sciences et de médecine, les deux professeurs exaspèrent les doutes et les angoisses.
Buzyn siffle la fin de la récré.
« Nous sommes dans l’irrationnel le plus total, s’indigne Agnès Buzyn, qui s’époumone contre la déferlante des fake news. « Je suis une fervente partisane de la démocratie sanitaire, mais je siffle la fin de la récré, car il y a des enfants qui meurent (…) On parle d’un risque sanitaire ! »
Le vacarme des réseaux sociaux revêt une ampleur croissante et incontrôlable. Sur le site Parlement et citoyens, la pétition contre le passage de 3 à 11 vaccins obligatoires pulvérise tous les scores protestataires, culminant avec 20 000 signatures à la fin janvier, alors que l’extension est maintenant votée et, en principe, appliquée.
Entre la loi et le buzz, les médecins sont de plus en plus partagés, non pas évidemment sur l’intérêt des vaccins, mais sur la pertinence de l’obligation. En tête des pour, le président de l’Ordre, le Dr Patrick Bouet, prévient que les médecins qui refuseront d’appliquer l’article 34 « devront répondre de leurs responsabilités devant les instances ordinales, car les vaccins sauvent les vies » ; « ce n’est pas un débat d’opinion, proteste le Dr Michel Chassang, président de l’UNAPL, mais un sujet de santé publique qui exclut toute remise en cause des vaccins » ; « Touraine a trop tergiversé, Buzyn a du courage et je la soutiens contre la frilosité de certains médecins très minoritaires », assure le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF.
L'obligation, une mesure contre-productive ?
Tentant de se faire entendre entre les allumés de la toile et les militants antivax, des généralistes se regroupent en collectifs qui demandent que la loi soit réexaminée vaccin par vaccin, en s’appuyant sur des expertises scientifiques indépendantes. « Paris-Match » et « le Parisien » consacrent manchettes et reportages à ces médecins qui jugent contre-productive l’extension de l’obligation de vaccination. Des généralistes interviennent dans les colonnes du « Quotidien du Médecin », tel le Dr Éric de Laborderie (St-Lo), qui en appellent à une « critique constructive, ni partisane, ni outrancière, et surtout documentée », dénonçant « les pétitions sur Internet qui n’ont rien à voir avec les preuves scientifiques ».
Toujours dans « le Quotidien », le CNGE (Collège national des généralistes enseignants), bravant « l’opinion dominante de la communauté médicale », dénonce un « militantisme aveugle en faveur de la vaccination obligatoire » : il se réclame de la loi relative aux droits des patients pour se prononcer contre « la fausse bonne idée de la solution coercitive qui provoque des réactions de défiance a contrario de l’intention initiale » et « complique le travail des médecins qui vaccinent ».
« Souvenez-vous des vaccionodromes »
Plus véhément, le Dr Philippe Vermesch, président du SML, s’emporte : « Souvenez-vous des vaccinodromes, en 2009-2010, chaque fois que vous prenez des mesures d’obligation, vous faites monter les réactions de méfiance. Cette affaire, quel bordel ! », tandis que, pas moins excédé, le Pr Roger Salamon, ex-président du HCSP (Haut Conseil de santé publique) fustige « les connards anti-obligation ». L’ambiance de guérilla est perceptible jusqu’au sein du CISS (Collectif interassociatif sur la santé), réduit à ne pas prendre pas position publiquement tant les remous sont vifs au sein des 40 associations qu’il fédère.
Devant une guérilla qui maintenant crée des brèches au sein du corps médical, Agnès Buzyn, invitée du 20 heures de TF1 le 2 janvier, répète inébranlable : « Il s’agit de sauver des vies, je ne céderai pas. » Mais « la ministre pourra-t-elle tenir alors que de plus en plus de médecins expriment leur désaccord sur la stratégie obligataire, sur fond de bronca populiste ? », interroge un éditorialiste de la presse médicale.
(À suivre)
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