LE QUOTIDIEN : Comment l’administration de la santé a-t-elle évolué pendant les douze ans où vous étiez DGS ?
Pr JEAN-FRANÇOIS GIRARD : Quand j’ai pris mes fonctions, nous étions dépourvus d’outils pour faire face aux crises, absorbés que nous étions par des tâches techniques et administratives qui nous empêchaient d’élaborer et de mettre en œuvre de véritables stratégies. C’est progressivement que les diverses agences de santé, d’abord embryonnaires, sont devenues opérationnelles, opérant une déconcentration des fonctions, tandis que, comme DGS, je formais avec les ministres qui se sont succédé, des tandems qui pouvaient véritablement traiter les crises. Indéniablement, ce sont les crises successives qui nous ont permis de progresser, avec l’aide de ministres qui ont donné des impulsions. Certains ont apporté une dynamique à la gestion des crises, tandis que d’autres moins. Mais, globalement, on peut considérer que la DGS, sous l’effet des crises, a su s’adapter et que ses structures ont mieux évolué que celles des autres administrations.
La DGS a donc appris peu à peu à répondre aux diverses crises ?
Parlons plutôt que d’une progression constante d’un phénomène de balancier : la priorité a été donnée tour à tour aux soins et à la prévention des crises. Comme DGS, j’ai pu constater que les investissements dans le domaine de la prévention n’étaient pas facilités par Bercy. Or Bercy a toujours eu du mal à intégrer les exigences de santé publique, jugées très budgétivores, sans prendre en considération le fait qu’elles concernent tout le monde et qu’elles constituent une donnée politique essentielle et prioritaire. Il a toujours été très difficile de faire partager aux politiques la culture du risque. À cet égard, les DGS ne doivent pas seulement élaborer une stratégie, ce qui est bien et nécessaire, ils doivent réussir à la vendre. La communication est primordiale. Mais lorsque la crise est derrière nous, les responsables ont vite fait d’oublier la gravité des événements. On est tellement content d’en être sorti, qu’on tourne la page et qu’on se projette dans d’autres priorités.
Comment pourra-t-on tirer toutes les leçons de la crise actuelle ?
Il me paraît indispensable qu’un observateur soit nommé, qui assiste à tous les comités d’experts et à toutes les réunions gouvernementales pour prendre note de la manière la plus exhaustive de tous les événements de crise. Cet observateur doit être un témoin à la fois neutre et critique, pas nécessairement un expert en santé, mais plutôt un historien ou un sociologue qui sera chargé de veiller à la mise à plat de tous les événements de la crise, heureux ou malheureux. Il veillera à ce qu’aucune déperdition d’information n’altère le retour d’expérience qui devra suivre. J’ai trop observé ces phénomènes de déperdition mémorielle lors des crises que j’ai eues à connaître pour ne pas insister aujourd’hui sur la nécessité de créer une telle fonction d’observation et de rappel des réalités.
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