Sur le terrain, la crainte d'un recul de la santé publique

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Publié le 22/04/2022

« Inefficaces », « simplistes » ou signe d’un « recul », les positions de Marine Le Pen et du Rassemblement national (RN) touchant aux enjeux de santé publique sont jugées sévèrement par les professionnels de santé concernés.

La préférence nationale du RN remet en cause l’accès élargi à la prévention et aux soins

La préférence nationale du RN remet en cause l’accès élargi à la prévention et aux soins
Crédit photo : Phanie

La perspective d’une mise en application des idées du Rassemblement national (RN) dans le domaine de la santé publique inquiète les professionnels. La notion de « préférence nationale » est un « non-sens » en matière sanitaire, juge ainsi la Dr Béatrice Stambul, psychiatre retraitée et déléguée régionale PACA de l’ONG Médecins du Monde (MDM). « On aurait pu espérer que le Covid suscite une prise de conscience : face à une pandémie, c’est complètement inefficace de soigner les nationaux et de refuser l’accès à la prévention et aux soins des autres. Mais c’est la position délétère du RN », rappelle-t-elle.

Les discours du RN inquiètent aussi quant à leurs conséquences sur la santé des femmes. « On ne peut être qu’extrêmement inquiets sur le maintien des droits à l’IVG, mais aussi sur l’accès à la contraception et sur celui à l’assistance médicale à la procréation (AMP) », alerte la Dr Joëlle Belaisch-Allart, présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).

Des craintes « légitimes » sur l’IVG

Sur l’IVG, qui reste un « droit fragile », les « raisons d’avoir peur d’un pouvoir d’extrême droite sont légitimes », poursuit-elle, observant la situation actuelle aux États-Unis. Et, alors que la dernière loi de bioéthique a ouvert de nouveaux droits, avec par exemple le droit à l’autoconservation des ovocytes ou l’accès à l’AMP pour les femmes seules ou les couples de femmes, la Dr Belaisch-Allart craint un « véritable recul » en cas de victoire du RN. « Tout n’a pas été parfait pendant ce quinquennat, en particulier pour l’hôpital et les maternités, mais ce sera nettement pire autrement », assure-t-elle.

Une autre crainte porte sur la prise en charge des usagers de drogue. Selon la Dr Stambul, qui porte à Marseille un projet de salle de consommation à moindre risque, le discours de l’extrême droite sur le sujet est « simpliste, voire criminel » et à l’inverse de la « réflexion globale nécessaire à la résolution de problématiques complexes ».

Une stratégie de réduction des risques « réclame de ne pas juger, ni stigmatiser » les usagers, mais « cette approche est perçue à l’extrême droite comme une forme d’incitation aux consommations, comme l’a été la mise en place des contraventions pour les consommateurs de cannabis, déplore la psychiatre. Ces discours sont nocifs et les contrer prend du temps ».

Une répression des usagers de drogue « coûteuse et inutile »

Dans la même logique, la criminalisation des usagers de drogues est « aberrante d’un point de vue sanitaire », poursuit-elle. Alors que 5 millions de Français consommeraient du cannabis, rappelle la psychiatre, une politique répressive est « coûteuse et inutile ».

À l’international, « on assiste à une prise de conscience de l’inefficacité des politiques répressives, qui concentrent pourtant 90 % des budgets consacrés à la lutte contre les drogues. La prévention, parent pauvre des politiques publiques – comme toujours - ne bénéficie que de 10 % de ces investissements, alors que ce sont les seules à donner des résultats », poursuit la Dr Stambul, citant l’exemple portugais, où la dépénalisation a été adoptée il y a 20 ans : « on (y) observe un recul des consommations et un meilleur accès aux soins ».

Un autre aspect du programme du RN inquiète : la remise en cause de l’aide médicale d’État (AME). Dans un entretien au « Quotidien », Marine Le Pen proposait son remplacement pour les adultes par « une aide d’urgence ou en cas de risque d’épidémies », tout en la conservant pour les mineurs. Là encore, la perspective est jugée « dommageable », par la Dr Stambul, qui relève le « non-sens » sanitaire d’une telle approche, à l'opposé d'un « accès universel aux soins indispensable pour la santé de tous ».

E. B.

Source : Le Quotidien du médecin