Pr Véronique Minard-Colin, pédiatre oncologue et vice-présidente de la SFCE

« En 2022, on peut guérir 80 % des cancers pédiatriques »

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Publié le 24/10/2022
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Alors qu'environ environ 1 enfant sur 500 sera touché par un cancer, le Pr Véronique Minard-Colin, pédiatre oncologue à l'institut Gustave-Roussy, revient sur les progrès réalisés dans ce domaine et les pistes de recherche actuelles.

Crédit photo : DR

Quelles sont les caractéristiques des cancers de l’enfant ?

Pr Véronique Minard-Colin : Les cancers pédiatriques sont des maladies rares – moins de 1 % de l’ensemble des cancers dans les pays développés – mais ils représentent la première cause de mortalité par maladie entre 1 et 15 ans. Ce ne sont pas les mêmes histologies que chez l’adulte mais des cancers spécifiques, constitués à 40 % de leucémies et de lymphomes.

On comptabilise chaque année en France 1 700 à 1 800 cancers chez les moins de 15 ans, et 400 chez les 15-18 ans, avec un pic pendant la petite enfance (avec essentiellement des leucémies, des tumeurs cérébrales et embryonnaires) et un autre à l’adolescence avec plutôt des lymphomes et des sarcomes, en particulier osseux et musculaires.

Récemment, plusieurs clusters ont suggéré une forte augmentation des cancers pédiatriques en lien avec l’environnement. Qu’en est-il ?

Pr V. M.-C. : Contrairement aux cancers de l’adulte, dont 40 % sont évitables, les déterminants des cancers de l’enfant sont mal connus et certainement multiples (génétique – lire encadré –, système immunitaire immature, rares agents infectieux, etc.). L’environnement joue aussi certainement un rôle. Il a été montré, par exemple, qu’avoir été exposé dans l’enfance ou in utero à des pesticides double le risque de leucémie de l’enfant, ou encore que vivre à moins de 150 mètres d’une route très fréquentée augmente ce risque de 30 %. Mais contrairement à ce qui a pu être suggéré, il n’y a pas eu d’épidémie de cancers de l’enfant, leur incidence restant stable depuis 20 ans, avec environ un enfant sur 500 qui sera concerné.

Quel est le pronostic des cancers de l’enfant ?

Pr V. M.-C. : De façon générale, les cancers de l’enfant sont plus sensibles aux chimiothérapies que ceux de l’adulte. Et, en 2022, on peut désormais guérir 80 % de ces cancers. Cependant, à côté des formes de très bon pronostic avec des survies supérieures à 90 % (lymphomes, leucémies, tumeurs localisées), il y a des cancers de pronostic intermédiaire dont la survie est autour de 70 % (sarcomes osseux et musculaires, surtout rencontrés chez l’adolescent) et des cancers de pronostic beaucoup plus sombre comme certaines tumeurs cérébrales ou les sarcomes et neuroblastomes métastatiques, avec des chances de guérison autour de 20-30 %.

Pour 20 % des enfants, les traitements actuels demeurent donc insuffisants. Quels sont les axes de recherche ?

Pr V. M.-C. : Nous vivons une nouvelle ère. Les avancées thérapeutiques majeures dans certaines formes très graves et réfractaires de leucémies de l’enfant ont été permises grâce aux CAR-T cells. Dans les leucémies pédiatriques, les taux de réponse dépassent 80 % et nos résultats sont encourageants dans les lymphomes pédiatriques. Pour les gliomes du tronc cérébral (50 enfants par an en France), des recherches très préliminaires semblent aussi prometteuses.

En revanche, l’immunothérapie, avec les inhibiteurs de check point immunitaire (anti-­PD1), a déçu chez l’enfant avec moins de 5 % des tumeurs qui y répondent. En cause probablement, des histologies différentes et des tumeurs peu mutées, stimulant de ce fait très peu le système immunitaire, lequel est par ailleurs immature chez l’enfant. Nous venons cependant d’obtenir avec un anticorps monoclonal anti-GD2 une augmentation de 20 % des chances de survie dans le neuroblastome métastatique, passant de 30-40 % à 50-60 %. Le rituximab dans des lymphomes pédiatriques B de haut risque permet aussi d’augmenter de 8 % les chances de survie (soit 95 % à 3 ans).

Enfin, nous venons d’ouvrir le protocole thérapeutique Biomede 2.0 avec un médicament d’une nouvelle classe d’anticancéreux, l’ONC201, qui cible le métabolisme énergétique des cellules cancéreuses.

Par ailleurs, nous disposons de nouvelles techniques de recherche, comme les single-cells qui permettent de décrire le portrait moléculaire cellule par cellule. Les macrophages vivant dans l’environnement des tumeurs pédiatriques empêchent les lymphocytes T d’accéder au lit tumoral. Tout l’enjeu est d’étudier ces macrophages au moyen de cette approche pour ensuite les cibler par immunothérapie. Nous travaillons aussi avec les « organoïdes », des mini-organes reconstitués à partir d’une cellule dé-différenciée en cellule souche pluripotente puis re-différenciée. On injecte ensuite des cellules tumorales afin de comprendre l’onco­genèse en lien avec son environnement et l’interaction avec les cellules immunitaires.

Au-delà des efforts pour « guérir plus », l’objectif est aussi de « guérir mieux » ?

Pr V. M.-C. : Oui, c’est un enjeu crucial car cela signifie guérir avec le moins de séquelles possibles. D’où l’importance de mettre au point des médicaments et des protocoles moins toxiques. Dans les lymphomes, nous obtenons plus de 90 % de guérison, mais au prix de séquelles que nous découvrons à l’âge adulte. Dans le lymphome de Hodgkin notamment, les adolescents ont longtemps reçu une chimio­radiothérapie, à l’origine de complications à distance, cardiaques, vasculaires, sur la fertilité. D’où la révision de nos protocoles, pour n’irradier désormais que les adolescents ayant une réponse incomplète à la chimiothérapie, soit environ 40 %. Et dans le lymphome anaplasique de risque « standard », on a remplacé la chimiothérapie intense par de faibles doses. Nous développons aussi des approches sans chimiothérapie dans certains lymphomes, avec de l’immunothérapie ou des thérapies ciblées.

Plus en aval, guérir mieux sous-tend aussi un meilleur suivi des patients au long cours pour repérer le plus tôt possible d’éventuelles séquelles. Alors qu’un adulte sur 1 000 est une personne guérie d’un cancer dans l’enfance, ce dépistage précoce des séquelles et leur prise en charge pèseront en partie sur les généralistes.

Des prédispositions génétiques

10 % des cancers pédiatriques sont associés à une anomalie génétique prédisposante connue et près de 5 à 10 % supplémentaires seraient liés à une prédisposition génétique encore non identifiée (ou à une combinaison de gènes). Cependant, pour tous ces syndromes de prédisposition, le risque de cancer reste encore mal apprécié.

C’est pour cette raison que l’observatoire Predcap a été mis en place par la SFCE avec le soutien de la Fondation Gustave-Roussy. Cet outil permettra d’évaluer le risque oncologique individuel et familial et de proposer un éventuel programme de dépistage précoce. Le projet Genecap, quant à lui, s’adresse aux jeunes patients pour lesquels on n’a pas retrouvé d’anomalie dans les gènes connus pour prédisposer au cancer. Les organoïdes permettront d’étudier les étapes de développement du cancer et, à terme, d’identifier et de tester de nouveaux gènes suspects.

Le Pr Véronique Minard-Colin est responsable du programme d’immunothérapie au sein du département de cancérologie de l’enfant et de l’adolescent de l’Institut Gustave-Roussy et vice-présidente de la Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l’enfant et de l’adolescent (SFCE)


Source : Le Généraliste