Une rue se présente à nous. Elle est vide. Les règles de savoir-vivre dans ce quartier ne sont jamais enfreintes, on ne peut se souvenir de la dernière fois où un tapage nocturne ou autre incivilité sont venues troubler l’air. Notre regard vole doucement le long de l’artère et en ce début de nuit, seule la fenêtre d’une maison est allumée. La curiosité incite à l’arrêt, à l’exploration.
À l’intérieur, le salon, éclairé d’une lumière halogène, semble baigner dans une douce tranquillité ; installé dans un coin du canapé, un homme est paisible. On dirait qu’il dort, sans bruit, discrètement. Sur la table basse, un verre plein de moitié, un whisky, la boisson préférée de Pierre.
Pierre Clamart, soixante-huit ans, retraité de l’Éducation Nationale, est un homme admiré pour son flegme, son attention aux autres, son engagement. Un homme bien. Le verre du soir est son petit travers.
Tous les matins, Clémence Girard vient porter à son voisin le quotidien régional. Ils se partagent le coût du journal. Matinale, elle le reçoit en premier.
La lumière provenant du salon, pourtant faible en cette journée ensoleillée, l’intrigue et les coups de sonnette sans réponse achèvent de l’inquiéter. Ce n’est pas normal. Climat de bon voisinage, chacun a la clé de l’autre.
Dès l’entrée, de la musique. Étrange, il en écoute peu, qui plus est jamais le matin. Elle s’avance vers le salon, prudente et l’aperçoit de dos, il est habillé comme la veille. À la main posée sur son épaule, il réagit.
– Ça va ? s’enquiert Clémence.
Hagard, Pierre reste plongé dans le silence avant de lâcher un fragile :
– Je ne sais pas.
– Que sont ces marques sur vos poignets ?
Un verre d’eau et un café plus tard, Pierre décide d’appeler la Police pour raconter son histoire. Quelqu’un doit venir, il est bien trop épuisé pour se déplacer.
***
Au commissariat, le calme est pesant. Gardiens de la paix, les policiers préfèrent pourtant l’agitation, l’enquête à résoudre, le bizarre. Avec l’histoire de Pierre, ils vont être servis.
Patrice Le Balcon est officier de Police judiciaire depuis vingt ans. Il aurait pu voir plus haut dans la hiérarchie mais le trop-plein administratif l’effraie. Forgée dans son enfance à coups de séries télé, sa vocation n’a pas laissé de doute. À dix ans, il a dit « je serai flic », et il l’est. Un homme serein, équilibré.
***
Dans la lumière artificielle du salon, le silence s’est installé. Le Balcon demande enfin :
– Après votre réveil – l’officier insiste sur le mot – il est parti, comme ça ?
– Oui, répond Pierre, après m’avoir posé des questions, comme je vous disais. Il était très poli.
– D’accord. Et maintenant, tout va bien ?
– Non.
– Comment vous sentez-vous ?
– Mal.
– Je comprends.
– Que va-t-il se passer ?
– Je vais aller voir les voisins… Mais on n’a pas grand-chose. Là, vous devez consulter le Dr Bargnoux, de ma part. Vous vous en sentez la force ?
– Je pense. Vous croyez qu’il a l’habitude de ce genre de cas ?
– Je crois que personne ne peut en avoir l’habitude.
***
Le Balcon est perplexe. Il rentre chez lui foulant le trottoir, accompagné d’une petite voix intérieure qui résume le curieux témoignage. Un peu comme dans ces séries où le détective fait le point en voix off.
Il n’a jamais entendu une histoire pareille.
Et la petite voix murmure :
Étrange journée, étrange enquête. Pas de meurtre, pas de sang, de la courtoisie pour sa victime, et pourtant une perversité jamais atteinte. Faut-il être tordu…
Prochain épisode dans notre édition du 6 février
Emmanuel Lefloch travaille depuis quinze ans dans la production culturelle. Auteur de plusieurs nouvelles et scénarii de court-métrage, sa plume est très sollicitée pour l’écriture artistique de nombreux projets.
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