« Les annuaires racialistes sont les symptômes des discriminations qui sévissent en médecine », juge le Pr Marie-Rose Moro, présidente de l’Association internationale d’ethno-psychanalyse. Des discriminations régulièrement dénoncées. En 2015, l’affaire Naomi Musenga, du nom de cette jeune strasbourgeoise d’origine africaine qui s’était fait moquer par le SAMU pour de violentes douleurs au ventre et qui est décédée cinq heures plus tard après avoir finalement été prise en charge par SOS médecins, a alerté à ce sujet les médias. Pour le médecin romancier Baptiste Beaulieu, cette affaire a mis en lumière une dérive surnommée le « syndrome méditerranéen », suivant lequel les patients africains auraient tendance à exagérer leurs symptômes et à ne pas être pris au sérieux par les médecins. Le sous-diagnostic qui s’ensuit frapperait les femmes noires, telles la joueuse de tennis Serena Williams, dont les plaintes avaient été ignorées par les médecins avant que ne soient découverts des caillots sanguins dans ses poumons – juste à temps pour la sauver.
Ce syndrome méditerranéen ne s’appuie sur aucune étude scientifique et il caractérise un phénomène raciste que dénoncent les associations. Des études sont également relevées comme la méta-analyse publiée en août dernier par les Proceedings de l’Académie nationale des sciences américaines : analysant 1,8 million de certificats de naissance de bébés nés en Floride entre 1992 et 2015, l’étude avait montré que les bébés noirs avaient trois fois plus de risques de mourir à l’hôpital lorsqu’ils étaient pris en charge par des médecins blancs que les bébés blancs suivis par des praticiens de même couleur.
L’ampleur du phénomène de « racisme sur ordonnance » que dénoncent des associations reste cependant difficile à évaluer. À ce jour, sur 47 dossiers de refus de soins examinés par le Défenseur des droits, sept sont liés à un critère de religion, de sexe ou de race et un seul cible l’origine du patient. L’Observatoire santé solidarité, un outil de signalement créé par la Fédération des acteurs de la solidarité, pointe de son côté des refus de soins principalement en lien avec la complexité de la protection universelle maladie, l’aide à la complémentaire santé et l’aide médicale d'État. Directeur général du COMEDE (Comité pour la santé des exilés), le Dr Arnaud Veisse corrobore les mêmes difficultés d’ordre administratif chez les patients originaires de 120 nationalités et il relie la plupart d’entre eux au non-recours à l’interprétariat lors des consultations. « Les discriminations expressément racistes ne nous sont pas rapportées, précise-t-il, et, de toute manière, les patients qui en sont victimes ne sont pas en capacité de déposer des plaintes. »
L’Ordre pris en tenaille.
C’est justement ce défaut de signalement qui fait problème, souligne le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins : « Nous appelons les personnes qui en seraient victimes à saisir les conseils départementaux pour que nous puissions sanctionner les praticiens qui contreviendraient à l’article 7 du code déontologie. Mais sans signalement, l’Ordre ne peut intervenir et combattre des discriminations dont il ne nie pas qu’elles se rencontrent. » L’Ordre fait donc face à une situation paradoxale : il est confronté d’une part à l’agitation de la twittosphère, avec la multiplication à l’infini de groupuscules parfois violents autour de lignes centrifuges qui atomisent l’humanisme médical et sa vocation à l’universalisme de la prise en charge et, d’autre part, il déplore l’absence de saisies qui lui permettrait d’agir et de réagir.
Dans ce contexte, préconise le vice-président du CNOM, une réflexion globale sur le sujet s’impose avec les différents acteurs pour mieux comprendre les besoins spécifiques des diverses communautés et combattre les attitudes discriminatoires. Des associations comme le CRAN s’y déclarent disposées.
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