Pas d'OPA des religions sur les réseaux ?

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Publié le 07/05/2021
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Ils sont regroupés en association, mais leurs chapelles ne sont pas des réseaux, protestent-ils. Médecins musulmans, médecins catholiques ou médecins juifs semblent, sur ce point, sur la même longeur d'onde.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Ni prosélitisme, ni communautarisme, et a fortiori ni exclusions. Une même distance vis-à-vis des annuaires médicaux est observée à l'Organisation musulmane des acteurs de santé,  à l'Association des médecins isréaélites de France ou au Centre catholique des médecins français.

Médecins musulmans : un réseau qui se déclare apolitique et non prosélyte

« L’OMAS est ciblée, on fait une fixette contre nous ! », s’indigne le Dr W. D., qui a fondé l’Organisation musulmane des acteurs de santé en 2015, après les attentats contre Charlie. « À l’époque, explique au «Quotidien» ce cardiologue -qui demande que son nom ne soit pas cité- en créant cette association, nous voulions justement répondre à ceux qui nous reprochaient de ne pas nous manifester contre l’islamisme et de pratiquer la politique de la chaise vide. L’OMAS voulait montrer que les médecins musulmans sont des Français qui ont fait des études et qui sont partie prenante, à part entière, de la communauté médicale. Tout le contraire d’une démarche séparatiste ! Et voilà que nous sommes ciblés parce que nous aurions créé un outil au service du communautarisme religieux dans le secteur de la santé ! Nous ne savons plus sur quel pied danser ! »

Plusieurs médias ont relayé en effet des accusations d’obscurantisme médical, de prosélytisme religieux et de repli identitaire. « Aucune des activités de l’OMAS n’expose à ces jugements : elles sont axées sur la pédagogie, avec l’accompagnement méthodique des concourants en PACES, les actions de prévention en matière sanitaire et sociale, les études culturelles autour de l’histoire de la santé. Quant à l’existence d’un annuaire, quelle association n’en dispose pas pour ses membres ? Chez nous, il est exclusivement à consultation interne, aucun patient ne peut en obtenir la consultation. De ce point de vue, nous ne comprenons pas la démarche de Globule Noir, diffuser un annuaire de médecins noirs pour des patients noirs, cela nous choque. »

« Que des personnes dont le nom a une consonance arabophone soient discriminées, c’est une réalité, reprend le fondateur de l’OMAS. Quand ma mère, qui porte le voile, va consulter un confrère, je lui recommande de signaler que son fils est cardiologue, alors que tant de médecins sont habitués à traiter les personnes originaires d’Afrique du Nord comme des analphabètes. Et c’est pour combattre tout à la fois les discriminations et les séparatismes que 4 000 médecins adhèrent à l’OMAS.

« Évidemment, convient le cardiologue, le réseau ne peut pas les contrôler tous personnellement et des cas litigieux pourront toujours être mis en exergue, mais notre réseau prône une médecine conventionnelle et scientifique, il est apolitique et non prosélyte. »

Médecins juifs : jamais de communautarisme à l’AMIF

Fondée en 1948, l’Association des médecins israélites de France (AMIF) se veut également apolitique et non prosélyte, elle a vocation à combattre l’antisémitisme quand il affecte le milieu médical et elle propose des formations sous forme de conférences, colloques et voyages et elle met en réseau ses adhérents. « Nous disposons évidemment d’un fichier, mais il est réservé à notre usage strictement interne, assure le Dr Bruno Halioua, président de l’AMIF. Les seules coordonnées que nous pouvons très ponctuellement en extraire à la demande des patients concernent des actes spécialisés comme la circoncision et il n’est jamais question de répondre à des démarches communautaristes. »

« Que des annuaires s’inscrivent dans une telle dynamique et que des médecins s’y prêtent en acceptant d’y figurer, c’est une aberration qui contrevient au serment d’Hippocrate. Et les discriminations d’origine confessionnelle nécessitent l’intervention et les sanctions de l’Ordre. Naturellement, les médecins juifs soignent les patients musulmans, comme les médecins musulmans soignent les patients juifs. C’est la réalité que nous vivons tous et il ne faudrait pas que le battage des réseaux sociaux nous la fasse perdre de vue. Ils sont certes incontrôlables. Faute de répondre aux provocations et d’interdire des annuaires communautaires et séparatistes, nous préférons ne pas en parler.»

Médecins catholiques : les annuaires sont anti-déontologiques et anti-éthiques

« Les annuaires communautaires de médecins sont choquants, anti-déontologiques et anti-éthiques, s’indigne le Dr Bernard Guillotin, membre du conseil national du Centre catholique des médecins français (CCMF). Au lieu d’enrayer les discriminations, religieuses, raciales ou sociales, leurs auteurs marchent sur la tête. Les antiracistes deviennent des racistes en mettant au premier plan les races des patients et des soignants. »

Le CCMF ne propose pas de consulter l’annuaire de ses adhérents et il dénonce les excès des réseaux sociaux sans disconvenir de la pertinence de certains regroupements dans des contextes particuliers : « les médecins gays ont pu intervenir auprès d’une clientèle de personnes séropositives alors que sévissait l’épidémie de sida. Mais la couleur de la peau, celle du soignant comme celle du patient, ne saurait être un élément de choix tel que l’érigent les annuaires communautaires. »

Propos recueillis par Ch. D.

Source : Le Quotidien du médecin