Près de 30 000 patients adultes ont rejoint la Communauté de Patients pour la Recherche (ComPaRe) créée par l'AP-HP, après une phase pilote menée en 2017 et un lancement officiel en octobre 2018. « ComPaRe, c'est une communauté de patients qui donnent un peu de leur temps pour faire avancer la recherche sur leur maladie », décrit le Dr Viet-Thi Tran, co-investigateur du projet.
Toutes les personnes atteintes de maladies chroniques sont invitées à la rejoindre (1) et à consacrer une dizaine de minutes par mois à répondre à des questionnaires en ligne sur leur maladie. Au final, ce projet de recherche participatif, dont la phase de recrutement va durer 10 ans, devrait inclure 100 000 patients, avec une cohorte générale et des cohortes spécifiques à chaque pathologie.
Un concept novateur
« ComPaRe est très novateur dans la manière de faire de la recherche : tous les chercheurs ont accès à la plateforme et peuvent solliciter des patients pour monter rapidement un projet de recherche, explique le Dr Tran. Comme l'infrastructure existe déjà et qu'un certain nombre d'autorisations réglementaires sont obtenues, cela va beaucoup plus vite pour eux ».
D'ores et déjà, ComPaRe est à l'origine de deux publications scientifiques. Dans la première, publiée en avril dans « BMJ Quality and Safety », 1 636 patients ont répondu à la question : « Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous dans votre prise en charge pour la rendre plus facile et/ou acceptable ? ». Après analyse par un groupe de chercheurs et de patients, les plus de 3 600 idées qui ont émergé ont été regroupées en 147 axes d'amélioration portant sur les consultations, l'hôpital et le système de soins. « Cette question "baguette magique", nous la posons à tous les patients, en dehors du cadre de l'étude », précise le Dr Tran.
La seconde étude publiée mi-juin dans « Nature Digital Medicine » avait pour objectif d’évaluer la perception qu'ont les patients concernant des objets connectés et de l’intelligence artificielle. Laetitia Begain, soignée pour un cancer du sein triple négatif depuis 5 ans, a fait partie des 1 183 patients inclus dans cette étude. Elle s'est retrouvée dans le constat qui en est ressorti : « je suis très favorable aux nouvelles technologies qui représentent un outil supplémentaire pour faciliter le travail des soignants, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la relation soignant-patient à laquelle je reste très attachée ».
Le fardeau des maladies
La prochaine publication issue de ComPaRe va porter sur le fardeau du traitement. « Les patients atteints de maladie chronique ont énormément d'aspects à gérer : traitement, habitudes à changer, tâches administratives… Cela représente une charge énorme, explique le Dr Tran. On estime que si toutes les recommandations étaient suivies, un patient atteint de diabète de type 2 devrait consacrer 2 heures par jour à s'occuper de sa maladie ». En parallèle, l'analyse des données est en cours pour une étude du même type menée spécifiquement dans la cohorte vitiligo.
D'autres projets en sont à la phase de collecte des données. C'est le cas d'un projet de la cohorte lombalgie chronique. « Nous allons utiliser les réponses aux questionnaires pour prédire, grâce à des algorithmes d'intelligence artificielle, quels sont les patients les plus à risque de développer un handicap à 1 ou 2 ans, présente la Dr Christelle Nguyen, co-responsable de cette cohorte. Connaître les facteurs qui conduisent au handicap va nous permettre d'agir en amont ».
Critères prioritaires
S'ils le souhaitent, les patients peuvent participer au-delà de questionnaires, en contribuant à toutes les étapes, de l'élaboration des questionnaires à l'analyse des données. « L'idée est que les patients soient impliqués dès la conception pour aboutir à une recherche la plus pertinente basée sur des critères prioritaires pour les patients et pas seulement pour les chercheurs », explique la Dr Nguyen. Une plateforme accessible à tous a par ailleurs été mise en place pour que chacun puisse proposer des idées de recherche.
Laetitia Begain n'a pas hésité une seconde à s'inscrire lorsqu'elle a appris l'existence de ComPaRe via l'association Fight Club Cancer fin 2017. « En tant que patient, nous subissons la maladie et ses traitements. Toute notre vie est modifiée. Le fait de pouvoir être acteur de la recherche médicale révolutionne notre façon d'aborder les choses. C'est aussi une manière de se réapproprier ce que l'on vit au quotidien », estime-t-elle.
Dès le début, elle a eu envie de mettre ses compétences au service du projet : ses compétences « d'avant », dans la communication, et ses compétences de patiente. Elle souhaite créer une cohorte dédiée au cancer du sein triple négatif, à l'instar des cohortes déjà en place pour la maladie de Verneuil, le vitiligo, la lombalgie chronique, l'hypertension, les maladies rénales, les vascularites, l'endométriose et bientôt la neurofibromatose : « Je contacte oncologues et chercheurs pour constituer un comité scientifique. J'espère que l'on pourra commencer à recruter à partir de septembre ».
Des essais randomisés en cours
Grâce à l'ensemble des données générées par les patients et à un suivi sur le long terme (durée prévue de 10 ans), ComPaRe devrait permettre, en plus de mieux décrire les maladies et leur évolution, de mener des essais cliniques afin de tester des approches innovantes. « Nous allons pouvoir proposer des interventions différentes des thérapeutiques habituelles, qui peuvent être intégrées facilement au quotidien du malade, telles que des méthodes éducatives et rééducatives », note la Dr Nguyen.
Deux essais randomisés sont déjà en préparation. « Nous allons évaluer l'intérêt en termes d'hospitalisation et de qualité de vie notamment d'une application intelligente qui permet à travers des questions régulières de savoir si le patient va bien », révèle le Dr Tran. Le second porte également sur une application de coaching personnalisé, mais spécifique à la lombalgie chronique.
« À terme, nous aimerions étendre le projet à d'autres populations comme les enfants atteints de maladie chronique, leurs parents, les aidants, mais aussi les soignants afin de recueillir des informations croisées sur les patients », avance le Dr Tran.
Comme pour tout projet de recherche, l'objectif de ComPaRe est de produire de la connaissance. « Aux décideurs ensuite de l'utiliser à bon escient pour améliorer la prise en charge des patients », conclut le Dr Tran.
(1) Inscription sur compare.aphp.fr
(2) inspire-compare.fr
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