« La médecine est une des grandes pépinières des mouvements islamistes radicaux », affirmait en 2012 l’islamologue Gilles Kepel (1). Trois ans plus tard, la conférence « laïcité et liberté religieuse » organisée par l’AP-HP présentait au contraire l’hôpital comme « un laboratoire d’expériences conviviales entre religions ». De fait, la loi de séparation de 1905 réserve la place des religions dans l’espace laïc de l’hôpital public, avec la prise en charge financière des aumôneries destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les hôpitaux comme dans les lycées et les prisons (article 2). Et la charte de la personne hospitalisée dispose que « tout établissement de santé doit respecter les croyances et les convictions des personnes accueillies, qui doivent pouvoir suivre les préceptes de leur religion « dans la mesure du possible ». Suivant le code de la santé publique (livre IX), ce sont les aumôniers, rémunérés comme contractuels ou bénévoles, qui ont la charge d’assurer dans ces établissements le service du culte pour les patients qui en font la demande.
Interrogés par le Quotidien, les quatre aumôniers nationaux s’accordent à considérer que leurs représentants interviennent dans un climat de bonne entente aussi bien entre eux qu’avec les équipes hospitalières. « Nous avons créé en 2017 une école nationale de l’aumônerie hospitalière (ENAH) qui épouse les valeurs de la République et de l’histoire de France, déclare l’aumônier national musulman, Abdelhaq Nabaoui. Nos 13 aumôniers régionaux veillent au vivre-ensemble avec les autres religions et nous n’avons plus aujourd’hui de risques d’infiltrations d’éléments radicaux. » Le rabbin Mikaël Journo, aumônier national du judaïsme se veut « toujours vigilant, car les islamistes ne sont pas toujours repérables avec une barbe de 3 mètres. Mais nous ne rencontrons pas de problème particulier, aucune plainte ne m’est rapportée, sinon pour le respect des régimes casher dans certains établissements. Chacun respecte la laïcité ainsi que les croyances. C’est une valeur cardinale de la République et nous la considérons comme une vraie bénédiction. »
« Chacun reste dans les clous réglementaires et s’abstient de faire du prosélytisme, estime lui aussi Constantino Fioré, aumônier national catholique, nos traditions diffèrent sur les représentations du corps et des maladies, mais nous nous retrouvons sur la dimension spirituelle des cultes, cela permet de tisser des liens entre nous et de bannir les dérives fondamentalistes ».
Vigilants mais pas paranos.
Seul bémol, l’aumônier national protestant, le pasteur Victor Abzra reconnaît que trois cas lui ont été rapportés ces derniers mois au sujet d’ aumôniers étrangers à sa fédération qui ont tenté des opérations qualifiées de prosélytes en s’introduisant dans des chambres et en apposant des affiches, des cas signalés aussi par d’autres aumôniers nationaux. « Nous sommes intervenus pour écarter ces personnes, assure-t-il, et nous restons vigilants sans verser dans la parano et toujours respectueux des équipes hospitalières. Nous savons que nous n’avons pas tous les éléments pour apprécier leurs décisions. »
À entendre ces acteurs qui font l’interface entre les religions et la médecine et qui forment « une toile d’araignée complexe au sein des hôpitaux », selon la formule de Boumedienne Medini, l’islamisme ne gangrène donc pas l’hôpital, comme le titrait cet automne un hebdomadaire. D’autres fondamentalismes religieux sont aussi menaçants, estime le juriste en droit de la santé Vincent Lautard : « Il faut tenir à l’œil l’OMAS (organisation musulmane des acteurs de santé), proche des Frères musulmans et implantés dans les facultés de médecine, mais il faut aussi faire attention à l’association traditionaliste Choisir la vie qui organise des formations anti-IVG avec son antenne médicale « nos mains ne tueront pas » ou sur la fin de vie. Attention également aux actions du Centre d’accueil universel issu de l’Église évangélique brésilienne, qui organise régulièrement des séances de « rétablissement de la santé par la foi. »
Les faits religieux restent une source de tension dans le secteur de la santé, même si à l’AP-HP, aucun contentieux n’est signalé en lien avec les croyances. Dans sa dernière étude sur la laïcité à l’hôpital, en juin 2015, la FHF notait que « les cas de violence ou de conflits pour des motifs religieux sont de plus en plus nombreux à l’hôpital public, ces dernières années. »
(1) Le prophète et le pharaon, Folio.
-Christian Delahaye, La Laïcité à l'hôpital, Parole et silence.
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