Gouvernement, députés, sénateurs, maires… Chacun avance des solutions dans la lutte contre les déserts médicaux. Pas en reste, les départements font entendre leur voix et de plus en plus de territoires déploient des plans dédiés. Tour d’horizon de dispositifs pour inciter les médecins à poser leur mallette.
Qu’ils habitent en Ardèche, dans le Loir-et-Cher, l’Oise, la Meuse… Les difficultés d’accès aux soins touchent de nombreux Français. Sans surprise quand on sait que près de 90 % du territoire est classé en zone d’intervention prioritaire (ZIP), zone d’action complémentaire (ZAC) ou quartier prioritaire de la ville (QPV). Et pour lutter contre les déserts médicaux chacun y va de sa solution : augmenter les capacités de formation des futurs praticiens, comme l’autorise la loi adoptée la semaine dernière, réguler l’installation comme le veut la proposition de loi (PPL) du député Guillaume Garot adoptée en mai à l’Assemblée nationale, miser sur un exercice de deux jours par mois dans des zones rouges par les médecins, comme l’envisage la PPL du Sénateur Philippe Mouiller… En attendant des arbitrages législatifs, sur le terrain, les élus s’organisent. Et notamment les départements.
Si la santé n’entre pas dans les compétences définies dans la loi nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de 2015, ils sont de plus en plus nombreux à adopter des plans d’actions spécifiques. « En septembre 2021, il n’y en avait que trois, en mars de cette année, ce sont 60 départements qui ont mis en place une politique d’accès aux soins et de prévention », observe Philippe Gouet, président du conseil départemental du Loir-et-Cher et président du groupe de travail Santé de l’association Départements de France. Une évidence pour certains. « Dès la campagne (pour les élections départementales, NDLR), nous avons constaté que la priorité des Ardéchois était la santé et l’accès aux soins », témoigne Sandrine Genest, première vice-présidente de l’Ardèche, en charge de la santé, de la petite enfance et des politiques contractuelles. Une démarche a donc été engagée dès le début du mandat en 2022. La même année, le Loir-et-Cher a adopté son plan « 41 en bonne santé », dans la continuité d’un débat mené en 2020. Dans la Vienne, les premières actions ont été lancées en 2005. Vingt ans plus tard, le département vient d’adopter son 3e plan pour la période 2025-2035. Une enquête réalisée par l’institut Quorum auprès des 101 départements, en partenariat avec Qadence et DocTripper, montre que 97 % des répondants ont mis en place des actions pour améliorer l’accès aux soins.
Des budgets annuels supérieurs à 500 000 euros
Mais quelles sont les marges de manœuvre de ces territoires ? « On compense les faiblesses et insuffisances de l’État », tacle Philippe Gouet. Pour le « 41 en bonne santé », le Loir-et-Cher a ainsi débloqué près de 25 millions d’euros entre 2022 et 2028. Dans l’Oise, environ 4,9 millions ont été investis depuis 2018, selon Nicole Cordier, vice-présidente du conseil départemental, chargée des sports et de la santé. L’Institut Quorum estime qu’un budget de 100 millions d’euros est consacré par l’ensemble des départements chaque année, 58 % des préfectures y consacrant plus de 500 000 euros/an. Mais, Sandrine Genest (Ardèche) souligne qu’outre un budget d’1,5 M€ cette année, c’est un important investissement humain qui « demande créativité, innovation et énergie ».
Des équipes dédiées, voire un guichet unique
De nombreux départements ont ainsi mis en place une équipe dédiée pour piloter la politique de santé. À l’exemple de la cellule dédiée de l’Ardèche : « Je la copilote avec un jeune médecin autour de trois axes socles : affirmer notre rôle d’innovateur et d’animateur territorial, renforcer l’attractivité médicale et susciter, faire émerger et accompagner les projets dynamiques du territoire ». Et pour l’accompagnement de l’installation des professionnels de santé, les Départements de France ambitionnent la mise en place de guichet unique au niveau de leurs administrations (lire page 12). Dans le Loir-et-Cher, l’agence d’attractivité créée en 2019 pour lutter contre la baisse du nombre d’habitants s’est dotée en 2021 d’une équipe spécifique aux recrutements des soignants. « Deux personnes sont mobilisées pour porter le plan et faire du marketing territorial. Elles interviennent dans les facs, les congrès… L’agence nous sert également de guichet unique », explique Philippe Gouet. Pour le président du groupe de travail Santé de l’association nationale, instaurer ces structures – prévues dans la loi de financement de la Sécurité sociale de 2023 – au niveau départemental a du sens : « ces guichets uniques permettraient de simplifier toutes les démarches administratives, d’accompagner les professionnels de santé ainsi que les étudiants dans leur projet de vie ; avec une gestion tripartite du département, d’un échelon départemental de l’ARS et la Cnam et l’implication des Ordres, des URPS… ». Il estime qu’ « une petite quinzaine de départements » ont mis en place un tel dispositif.
Investir dans le bâti
Si 97 % des répondants à l’étude Quorum déclarent avoir participé à la création de maisons pluriprofessionnelles et centres de santé (CDS), l’approche n’est pas la même entre les départements. Dans l’Oise, « une grande partie de notre budget concerne les aides aux communes pour les MSP », témoigne Nicole Cordier, qui estime que les CDS ne sont pas la solution. « On voit des collectivités qui ont fait ce type d’actions (le salariat des médecins, NDLR) et j’en connais très peu où ça fonctionne bien », ajoute-t-elle. En Ardèche, le département abonde avec la région pour accompagner financièrement la mise en place de MSP. Avec en ligne de mire la possibilité d’accueillir de nouveaux médecins mais aussi des futurs médecins pour leur stage.
Certains investissent également dans des bâtiments pour la formation. Dans le Loir-et-Cher, un Campus santé se met en place à Blois, parmi les investisseurs, le département apporte deux millions d’euros, rappelle Philippe Gouet. En Ardèche, une première année de PASS ouvrira à Aubenas en septembre prochain. « Les premiers retours de Parcours Sup montrent que nous avions 500 Ardéchois prépositionnés et 1 500 en hors secteur, pour 40 places », témoigne Sandrine Genest.
Il faut être solidaire. Aller chercher un professionnel ailleurs, ça veut dire qu'on est en train déshabiller Paul pour habiller Pierre. Ce n’est pas le but ! »
Christophe Le Dorven, président d’Eure-et-Loir
Opération cocooning
Car les départements se mettent en quatre pour attirer les futurs professionnels de santé, via des bourses d’aides aux études, des événements pour leur faire découvrir le territoire ou leur permettre de se créer un réseau, des journées d’accueil… Si la Vienne a très tôt proposé des bourses, Anne-Florence Bourat, vice-présidente déléguée en charge de la Santé, observe : « c’est important pour certains, cela crée une dynamique, mais ce n’est pas suffisant ». Alors les départements travaillent aussi sur leur hébergement. En Ardèche, une maison des internes a vu le jour à Aubenas. Et des bourses sont aussi proposées pour « se loger, se déplacer… », explique Sandrine Genest. Des aides qui sont souvent assorties d’un engagement à exercer sur le territoire pendant deux à trois ans.
D’ores et déjà, les élus ont en tête l’arrivée des docteurs juniors de médecine générale en novembre 2026. S’il faut donner envie aux futurs omnipraticiens de venir effectuer leur année sur les territoires, l’objectif est aussi d’avoir assez de maîtres de stage des universités (MSU). Les départements ajoutent donc une nouvelle corde à leur arc. Dans l’Oise, un dispositif d’aide à la formation existe et le département ouvre un prêt spécifique pour pouvoir accueillir des docteurs juniors. En Ardèche, le regard se tourne aussi vers les étudiants partis faire leur cursus à l’étranger. Le département a noué un partenariat avec une université roumaine, « très sélective, avec un bon contenu solide », assure la vice-présidente chargée de la santé. Trente jeunes viendront ainsi effectuer un stage d’un mois entre juillet et septembre en médecine libérale et à l’hôpital.
La liste des mesures n’est pas exhaustive, chacun les adaptant à son département. Au risque de se concurrencer entre territoires, comme le déplorait Christophe Le Dorven le président d’Eure-et-Loir lors d’une réunion au Sénat fin avril : « il faut être solidaire. Aller chercher un professionnel ailleurs, ça veut dire qu'on est en train déshabiller Paul pour habiller Pierre. Ce n’est pas le but ! ». « La concurrence existe déjà », constate Philippe Gouet qui appelle les Ordres à faire « respecter un code de déontologie et à borner les aides faites par les collectivités ». En attendant, chacun compte le nombre de professionnels attirés sur son territoire et réfléchit à de nouveaux dispositifs pour mieux les accompagner, en espérant qu’ils s’installent pour de bon…