Par Clément Paquis
Indépendamment de l'opinion que Monsieur Cortez se faisait sur la vie trépidante de médecin de campagne à Plumier-les-Natives, ce qui avait fini par me décider, c'était Sylvia. Nous étions mariés depuis six ans et l'idée d'une petite famille remplie de mini-copies de nous la travaillait de plus en plus. Vous savez ce qu'on dit, les enfants, c'est en meilleure forme quand ça grandit à la campagne. Plus égoïstement, j'avoue avoir été profondément séduit par Plumier-les-Natives. Un petit patelin de quatre cents âmes avec un joli petit étang artificiel en son centre, voilà qui le faisait ressembler à une sorte de village de hobbits, si bien que je m'attendais à voir débarquer Gandalf à un coin de rue, escorté de Sam et de Frodon.
Au lieu de ça, mon premier contact avec la population de Plumier-les-Natives fut incarné par Ghislain Frioul. Le Ghislain, comme on l'appelait ici, était le rebouteux du village et ne voyait pas d'un très bon œil cette concurrence toute scientiste qui venait s'installer sur ses terres. « Oh bah là, vous z'allez pô faire beaucoup d'affaires par ici, c'est moi que j'vous l'dis ! Ici, les geôns y z'ont pô besoin d'un docteur, y z 'ont besoin de quéqu'un qui les comprend et qui sait qu'est-ce qu'est bon pour eux en d'dans ! »
Le Ghislain était un homme d'une soixantaine d'années dont l'envergure, la consistance et la voix rauque laissaient supposer un certain amour pour la cochonnaille et le tabac brun. À l'heure où j'écris ces mots, je ne me souviens plus de la réponse que je lui ai faite. Je ne suis même pas certain de lui avoir répondu quelque chose. Il est fort possible que je me sois contenté de hocher du bonnet poliment afin de rapidement mettre un terme à cet échange.
* * *
« Le Ghislain, il vous a pas à la bonne mais à part lui tout le monde au village vous a adopté, docteur ! »
J'étais installé depuis trois mois à peine, et la vie à Plumier-les-Natives me plaisait déjà beaucoup. Les patients affluaient et Sylvia était radieuse.
Ici, mon flagorneur de patient s'appelait René Paulin et présentait le même type de personnalité angoissée que Monsieur Cortez. Il était venu me consulter pour une oreille bouchée et j'avais finalement extirpé de son conduit auditif un morceau de cérumen de la taille d'un œuf de piaf. Les yeux gorgés de larmes de reconnaissance, il m'avait chaleureusement remercié tout en me serrant la main. Il m'avait raconté s'être littéralement cogné la tête contre les murs pour tenter de faire passer cette angoissante sensation de perte auditive, et les ecchymoses que je discernais aux alentours de sa tempe droite ne me faisaient pas douter une seconde de sa parole. J'ai toujours, dans mon cabinet, une petite machine à infusion. Lorsque je tombe sur un patient angoissé, j'ai pour habitude de lui proposer une petite tisane. Cette coupure dans la consultation a tendance à le pousser à parler et ainsi à rationaliser ses angoisses. René Paulin sirotait donc une infusion au caramel alors que je lui prescrivais un anti-inflammatoire pour cette oreille bouchée qu'il avait très salement malmenée à coup de poire quand il lui prit soudain l'idée de me faire une confidence.
« Vous savez, m'avait-il lancé en reposant sa tasse sur le rebord de mon bureau, au village, y 'en a beaucoup – surtout des vieux – qui prêtent au Ghislain des pouvoirs… comment dirais-je… occultes. »
Je me souviens avoir été touché et amusé par ce commentaire qui se voulait être une mise en garde amicale. Si j'avais pu imaginer que ce qui m'attendait ressemblerait à une sorte d'enquête sur ordonnance…
Prochain épisode dans notre édition du 16 juin
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