Par Clément Paquis
Vous l'auriez vu, l'ami Boulier, brandir son petit carnet à spirale dans lequel il s'était mis à consigner absolument tout, de l'observation la plus évidente au détail le plus insignifiant… Il le secouait sous mon nez en s'exclamant : « Ahaaaa, mon cher Watson, je crois que nous touchons au but ! »
J'avais vraiment hâte qu'il partage avec moi le fruit de ses investigations mais à chaque fois que je lui demandais de m'en dire plus, il prenait un air énigmatique, amusé, et me répliquait qu'un bon enquêteur devait attendre d'être sûr à cent pour cent avant de désigner le coupable et de boucler ainsi son enquête. Ce que nous savions, désormais, c'était que le rebouteux était loin d'incarner le type de personnage mystérieux auquel on aurait pu s'attendre. En effet, Ghislain Frioul, natif de Plumier-les-Natives, avait travaillé pendant quinze ans à l'ancienne raffinerie de sucre dont les bâtiments désormais vides se trouvaient à une dizaine de kilomètres du village. Lorsque l'usine avait fermé, Frioul s'était mis à son compte en tant que serrurier et puis quelques années plus tard, suite à des problèmes de dos, il avait cessé toute activité professionnelle. Gros coup de chance, il s'était presque immédiatement découvert des dons de guérisseur en même temps que des ancêtres druides. Le hasard fait parfois bien les choses. Les habitants du village, qui n'avaient pas cessé de tomber malades comme par magie après l'exode rural, avaient fini par faire appel à ce rebouteux familier qu'ils s’étaient d’abord mis à régler en nature – quelques œufs, des légumes du jardin, un bocal de confiture –, pour finalement consentir à le payer en liquide.
« C'est un sacré philanthrope que tu me décris là, dis donc… Mais comment as-tu appris tout ça à son sujet ? »
Fabrice Boulier, dermatologue de son état, avait pris l'initiative de rendre visite à tout le village. Prétextant un souci de rigueur médicale (ce qui n'était par ailleurs pas très éloigné de la vérité), il s'était présenté chez mes patients et leur avait posé des dizaines de questions. C'était sans se faire prier que ces derniers s'étaient mis à l'entretenir à propos de Ghislain Frioul.
« Vous savez, docteur, le rebouteux il a un sobriquet. On l'appelle ''le père-charogne'' parce qu'il se trimballe tout le temps avec des tas de bêtes mortes sur lui. Il relève ses pièges et des fois, les bestioles qu'il récupère sont cannées depuis tellement longtemps qu'elles empestent ! Et du coup, lui, il finit par puer comme elles. »
Parmi toutes les anecdotes qui avaient été contées au Dr Boulier par les habitants du village, c'était celle-ci, à propos de l'odeur, du sobriquet et des charognes, qui revenait le plus souvent. Voyez-vous, j'aurais dû comprendre où Fabrice voulait en venir lorsque je l'ai vu se mettre à renifler mes patients. C'était un spectacle assez curieux. Tout nouveau patient se présentant à mon cabinet avec des verrues était minutieusement reniflé par Boulier.
« Bon sang Fabrice, mais tu vas me dire ce que tu fabriques ? »
Et Fabrice de se contenter de me répondre son très exaspérant et sempiternel « Bientôt, mon cher Watson, très bientôt ! » alors que les patients couverts de verrues continuaient à défiler dans mon cabinet.
* * *
C'est finalement un jeudi soir que le mystère se dévoila. La nuit était tombée sur le village et mon épouse me massait les épaules. Alors que j'étais sur le point de sombrer dans le sommeil, Fabrice fit irruption dans le salon, un large sourire victorieux aux lèvres. « Je le tiens, Watson ! »
Prochain (et dernier) épisode dans notre édition du 30 juin
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