LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir voulu vous pencher sur le couple ?
DR SARAH DAUCHY : La notion de couple est complexe. Il y a de multiples façons d’être en couple et cela ne se résume pas, loin s’en faut, au statut administratif. Si les diagnostics et les traitements des cancers peuvent modifier en profondeur le patient et son rapport au monde, c’est aussi vrai pour son conjoint, qui va être confronté aux modifications corporelles de l’autre, à des changements de rôles et de responsabilités parfois déstabilisants. Or, le système de santé fait une place au conjoint quand ça l’arrange (pour accompagner le patient à l’hôpital, le faire participer à certains soins, etc.), mais ne veut pas non plus qu’il soit trop présent. Cette place relativement normée ne convient pas à tous. C’est à nous, soignants, de nous adapter au fonctionnement du couple et non l’inverse.
L’annonce d’un cancer est un choc en soi. À quel moment se pose la question de la parentalité ?
L’impact du cancer sur le couple et la famille est souvent immédiat, car le conjoint est très souvent la première personne informée de la situation. La question – « qu’est-ce qu’on dit aux enfants ? » – se pose généralement dans la foulée. Cela ne signifie pas que les enfants vont être tout de suite informés (beaucoup attendent d’en savoir plus), mais le sujet est débattu rapidement.
Pourquoi est-il aussi important d’évaluer la souffrance psychologique du conjoint ?
L’impact psychologique de la nouvelle sur le conjoint ne doit pas être négligé, car les niveaux de souffrances, quand on les évalue, sont à peu près identiques chez le conjoint et chez le patient. Cependant, les conjoints, et les proches en général, ne s’autorisent pas à se plaindre, de sorte que cette souffrance est souvent sous-estimée. Il faut trouver le moyen de s’adresser aussi à eux, de les interroger sur leur santé, physique et psychique. C’est d’autant plus important que le proche va être très sollicité pour devenir auxiliaire de soins et tous ne sont pas armés pour cela. Pour certains, ce peut être positif, car ils sont alors dans l’action. Mais pour d’autres, ce transfert de tâches devient une source de stress supplémentaire.
Est-il vrai que le cancer est un briseur de couples ?
Ce n’est pas si simple. Les couples qui se séparent sont ceux qui allaient déjà mal avant et qui ne résistent pas forcément à l’épreuve du cancer, lequel attaque chaque individu dans sa confiance en soi, son identité, sa disponibilité, sa sexualité, etc. Le cancer n’interrompt pas les projets d’enfants (il peut même les susciter), même si souvent il contraint à les reporter. Enfin, on voit parfois, chez des couples séparés, le conjoint revenir pour s’occuper de l’autre et assurer une mission de soins.
En quoi la problématique du couple jeune est-elle différente ?
Ces couples sont encore en construction de leur relation, mais aussi de leur personnalité, de leur sexualité, de leur estime d’eux-mêmes, d’où un retentissement très singulier. Certains actes de soin, ainsi que les démarches en vue de la préservation de la fertilité peuvent être vécus comme une double effraction : celle de l’intimité de la personne et celle de l’intimité du couple. L’atteinte sur la sexualité est également très fréquente, notamment lorsque le cancer touche la zone génitale (gynécologiques, testiculaires…) : au sentiment de ne plus être désirable, peut s’ajouter un risque de désinvestir cette partie du corps, ou des peurs erronées comme la crainte que le cancer soit contagieux, voire un sentiment de honte ou de culpabilité. Dans toutes ces situations, la présence du psychologue est importante.
Y a-t-il eu des progrès en matière de préservation de la fertilité ?
Nous avons fait des progrès dans la connaissance des grossesses après cancer car même si, au début, elles étaient déconseillées par précaution, il y en a eu : lorsqu’elles pouvaient se poursuivre, cela nous a montré que cela ne se passait pas forcément si mal ! Il y a eu aussi de belles avancées en matière de préservation de la fertilité. Aujourd’hui, ces enjeux de fertilité et de la fécondité sont abordés précocement et identifiés comme étant une part intégrante de la qualité de vie du patient et du couple – y compris s’ils ont déjà des enfants. Il est possible, sur le plan médical et psychologique, de les aider à se projeter avec des perspectives concrètes. Quoique le patient ou le couple fasse ou puisse faire à terme d’un éventuel désir d’enfant, cette reconnaissance est déjà un soutien : reconnaître un possible, c’est toujours mieux que le nier !
Les conséquences matérielles doivent-elles être prises en compte ?
Leur impact peut aussi être important, en raison des pertes de salaires, de difficultés rencontrées sur le plan organisationnel, de la perte de vie sociale, etc. Le cancer a un impact physique, psychologique, financier, social. Sur tous ces points, le médecin généraliste a un rôle de repérage très important. En ce qui concerne la souffrance psychique, son repérage, sa prise en charge, l’orientation des patients, il peut trouver des informations complémentaires auprès de la société française et francophone de psycho-oncologie (SFFPO), qui apporte son expertise, défend les intérêts de la psycho-oncologie, forme et édite une revue francophone (4 numéros par an, envoyés à tout adhérent) ainsi qu’un site internet : https://sffpo.fr.
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