Mercredi 24 juillet 2019, Paris étouffe sous la canicule. Une raison supplémentaire pour les migrants vivant dans les campements insalubres aux alentours de la Porte de la Chapelle d’aller se réfugier à la « halte d’urgence », un lieu situé sous le périphérique où ils peuvent se reposer prendre un petit-déjeuner, se laver et nettoyer leurs vêtements. À 10 h 30, une trentaine d'entre eux est déjà dans l’enceinte du bâtiment – principalement des hommes célibataires âgés entre 20 et 40 ans. « Chaque jour, 200 douches y sont effectuées », précise Carole Morice, cheffe de service de la halte d’urgence à la Fondation de l’Armée du Salut, chargée de la coordination du lieu. Selon des données de la ville de Paris, entre 700 et 1 200 migrants dorment actuellement à proximité de la structure qui a vu le jour fin mai.
La promiscuité et les conditions de vie peuvent expliquer la résurgence dans cette communauté de maladies infectieuses telles que la tuberculose. En Île-de-France, son incidence augmente depuis 2015, d’après Santé publique France (1). En 2017, 1 927 cas ont été déclarés, contre 1 809 en 2016 et 1 758 cas en 2015. Selon le bilan provisoire du centre de lutte antituberculeux (CLAT) de Paris, le taux d’incidence est passé de 14,4 pour 100 000 habitants en 2015 à 20/100 000 en 2018. On a de plus dénombré 444 cas de tuberculose causés par le Mycobacterium tuberculosis en 2018, et 8 par des mycobactéries atypiques. Dans la majorité des cas, les maladies sont nées en Afrique subsaharienne.
Une journée de consultations par mois
Une fois par mois, une unité de radiologie mobile louée par le CLAT 75 vient à la halte d'urgence assurer le dépistage de cette maladie contagieuse, indispensable en termes de santé publique. Le CLAT organise ce type de consultation de radiodépistage 40 fois par an dans des lieux divers. Lors de leur dernière venue à la Halte, 48 radiographies ont été effectuées et interprétées sur place en une journée.
Si le dépistage s'appuie sur la radiographie pulmonaire et non sur des tests sanguins c'est avant tout pour des raisons d'efficacité opérationnel. « L'intradermoréaction à la tuberculine ou le Quantiferon permettent surtout de dépister des tuberculoses latentes. Nous n'en sommes pas encore là : notre but est le dépistage des tuberculoses évoluées, explique le Dr Cécile Charlois, médecin responsable du CLAT de Paris. De plus, lors d'une série de cas en 2002, nous avons constaté que 20 % des malades étaient asymptomatiques mais présentaient des signes radiologiques. »
Gilet de signalisation sur le dos, Alkhali est un jeune migrant bénévole de 25 ans chargé du premier entretien avec le migrant. Il les aide à remplir un bon indiquant le nom, l'origine, la date d'arrivée en France et ses coordonnées téléphoniques.
Un diagnostic difficile
Les signes radiologiques recherchés ? « Des lésions aux apex, dans les culs-de-sac ou au niveau pleural… Je recherche aussi des adénopathies péri-hilaires, des infiltrats, des micronodules », énumère le Dr Charlois. Certains de ces signes sont très peu évocateurs, comme des petits infiltrats interstitiels. Le patient est classé dans la catégorie « à reconvoquer » : les médecins vont tenter d'établir un diagnostic de certitude à l'aide d'examens biologiques comme le BK crachat +/- LBA. « On propose aussi un traitement d'épreuve », assure le Dr Charlois.
Face à d'autres signes plus spécifiques, telles que les lésions apicales excavées ou les adénopathies hilaires, « j'aurais tendance à orienter le malade directement vers l'hôpital Bichat, avec qui le CLAT a noué un partenariat », explique le Dr Charlois. L'examen de référence est le scanner thoracique.
Si le diagnostic est confirmé à l'hôpital, l'équipe mobile de lutte contre la tuberculose, une antenne du SAMU social de Paris, est contactée. Dotée d'une file active de 200 patients sur toute la France, elle assure le suivi des malades et de leur traitement, par téléphone, ou en allant à leur rencontre si nécessaire. Les services hospitaliers sont en outre tenus de transmettre les bilans cliniques et bactériologiques au CLAT, afin de définir le périmètre de recherche des personnes en contact avec le malade.
Dans la situation particulière où se retrouve ces migrants, nombreux sont ceux qui hésitent à donner un numéro de téléphone ou une adresse. Malgré cela, « on a très peu de perdus de vue, poursuit le Dr Charlois. Des bénévoles de France Terre d'Asile ou d'autres structures en place accompagnent parfois les patients dans les services. »
En 2018, 9 nouveaux cas de tuberculoses ont été dépistés via le camion mobile, et 14 en 2017, soit environ un cas diagnostiqué toutes les 200 radios faites à l'aide de ce dépistage itinérant.
Pas de transmission constatée à Paris
Cette recrudescence de cas est-elle le signe d'une épidémie sur le territoire métropolitain ? À Paris, les génotypages des souches prélevées chez les malades ne mettent pas en évidence de liens de transmission. Les malades dépistés sont des réactivations de tuberculoses anciennes qui surviennent dans les 2 ans après leur arrivée en France. « À l'avenir, il faudra davantage de dépistages de ces tuberculoses latentes pour lutter contre ce phénomène », prédit le Dr Charlois.
Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH). Epidémiologie de la tuberculose en Île-de-France : une augmentation des cas déclarés en 2016 et en 2017. Santé publique France, mai 2019
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