Le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a rendu public la semaine dernière un rapport effarant sur la prise en charge des patients psychiatriques au CHAR de Cayenne.
Cette enquête est issue d'une visite effectuée par quatre contrôleurs à l'automne 2018. Premier constat : la pénurie médicale en psychiatrie et en médecine générale comme la part importante de praticiens en contrat précaire et sans plénitude d'exercice (titulaires de diplômes étrangers et inscrits ordinalement comme spécialistes en médecine générale) a des conséquences néfastes pour la prise en charge et le parcours du patient. En dehors des possibilités d'hospitalisation complète à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni, l'insuffisance de structures adaptées complique la donne. La Guyane ne dispose ni d'appartement thérapeutique, ni de foyers (FAM) ni de maisons (MAM) d'accueil médicalisés, ni de centres d'accueil thérapeutiques à temps partiel.
Dans ce contexte, les enquêteurs ont constaté à plusieurs reprises « des pratiques d'isolement » « massives, abusives et en dehors de tout cadre réglementaire » de la part de soignants pas ou peu formés. « Les arrivées et départs de nouveaux médecins depuis quelques années ont empêché le développement d’une culture médicale partagée avec les soignants, et les infirmiers sont ainsi abandonnés à eux-mêmes, d’autant que les médecins utilisent de manière fréquente et hors protocole de soins les prescriptions "si besoin" ou "si agité ou refus", "si agitation", "SB" [pour "si besoin", NDLR] voire aucune mention », notent les contrôleurs, qui ont constaté des prescriptions d’injections intramusculaires de sédatifs « si agité ou refus » et des prescriptions de chambre d’isolement « si besoin ». Les psychiatres en exercice, « quelles que soient leurs qualités, explicitent les experts, ne peuvent porter auprès des équipes une parole médicale forte et rassurante. […] Ce travail dialectique se fait habituellement lors des réunions cliniques qui sont absentes dans les services en pénurie médicale, et par une présence quotidienne des médecins dans les unités » qui n'est que partiellement assurée.
Sept chambres d'isolement sur les douze existantes étaient occupées lors de leur visite. « Les dix chambres d’isolement pour adultes sont indignes et ne permettent pas en l’état l’hébergement d’un patient dans des conditions de dignité et de sécurité normales » (absence de lumière du jour, WC à la turque sans intimité), taclent-ils. Leur rénovation doit s'accompagner de la construction de chambres d’isolement supplémentaires – ce que prévoit le CHAR –, « justifiée par un projet médical qui en précise le besoin ». Le registre d’utilisation de la chambre d'isolement n'est pas systématique. Si la contention ne semble pas être souvent utilisée par les soignants (aucune en cours lors de la visite des contrôleurs), il n’y a là encore « aucune traçabilité de son utilisation » autre que des notes manuscrites sur la prescription.
DAF détournée
Outre la pénurie médicale, le manque de moyens influe sur la prise en charge. Faute de crédits, les infirmiers ne sont plus formés. Et une partie « importante » (39 %) de la dotation annuelle de financement (DAF) allouée à la psychiatrie était en 2017 « consacrés aux charges indirectes du CHAR ».
Les experts concluent leur rapport par 49 recommandations. Seuls le déplacement du juge auprès des patients, la possibilité donnée aux familles de prendre un repas au sein des services et la création de consultations ambulatoires aux urgences psychiatriques sont considérés comme des bonnes pratiques.
Depuis la visite des contrôleurs, la direction du CHAR s'est engagée à mettre en place un registre d’isolement et contention et à mieux contrôler l'utilisation des ressources attribuées au secteur.
Article précédent
Clara de Bort (ARS Guyane) : « Ici, un jeune praticien hospitalier est le roi du pétrole »
Article suivant
Repères
En pirogue, une équipe médicale déterminée à soigner les patients isolés
Clara de Bort (ARS Guyane) : « Ici, un jeune praticien hospitalier est le roi du pétrole »
En psychiatrie, des pratiques d'isolement « massives et abusives »
Repères
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024