« La communauté des psychiatres se divise en deux : ceux à qui c'est déjà arrivé. Et les autres à qui ce n'est pas encore arrivé », résumait le Pr Guillaume Vaiva (CHRU de Lille), en introduction à la session dédiée au suicide du patient, le 23 janvier dernier au congrès de l'Encéphale à Paris.
Quelque 87,3 % des psychiatres ont déjà été confrontés au suicide d'un patient, dont 66,8 % à plusieurs suicides, révèle une enquête réalisée en ligne auprès de 764 participants, par les Drs Raphaël Allali (Bobigny), Édouard Leaune (Lyon) et Jean-Yves Rotgé (Paris). Plus de 60 % des répondants sont des praticiens publics, 22 % exercent en libéral, 8 % en établissement privé, et 2 % en association. La moitié a plus de dix années d'exercice, mais ils sont confrontés pendant l'internat au suicide pour 47 % d'entre eux, et les dix années suivantes, pour 43 %.
Le drame a lieu dans la moitié des cas au domicile du patient, souvent pendant une permission, voire dans le service (19%).
Seulement 5,5 % des enquêtés n'ont été exposés ni au suicide ni à une tentative grave. Ce sont en grande majorité (62 %) des médecins ayant moins de cinq ans d'exercice.
Des conséquences plurielles
L'enquête met en évidence l'impact traumatique de l'évènement sur les soignants. Une minorité (14 %) développe même un trouble du stress post-traumatique. Le choc, également émotionnel (ressenti de culpabilité, tristesse) et professionnel, se répercute, dans 90 % des cas, sur les pratiques des médecins. De façon positive : la moitié s'intéresse davantage à la prévention du suicide et investigue les idées suicidaires. Mais aussi négativement, ce qui se traduit par une tendance à davantage hospitaliser et à freiner les permissions (pour 20 à 25 % des répondants). Un psychiatre sur cinq a envisagé de changer de carrière.
« Ces trois impacts (traumatique, émotionnel et professionnel) sont le plus souvent associés. Chacune des dimensions est fortement corrélée à la présence d'idées suicidaires réactionnelles, ce qui concerne 4 % des psychiatres », souligne le Dr Raphaël Allali, appelant à bien accompagner ce sous-groupe de confrères peut-être plus vulnérables. Par ailleurs, 4,2 % des médecins ont débuté une psychothérapie après avoir été exposés à un suicide, et près de 5 % ont pris des benzodiazépines.
Prévenir et parler
Les auteurs de l'étude appellent à informer les jeunes psychiatres de la prévalence du phénomène, en leur donnant des clefs pour l'après-coup. « Certains étudiants ont choisi psychiatrie… pour n'être pas confrontés à la mort. Or, le suicide d'un patient va tous nous concerner », préviennent-ils.
Ils insistent sur l'importance de briser la solitude d'un médecin confronté à cette expérience. Une évidence qui n'est pas entrée dans les pratiques : plus de 37 % des répondants déclarent n'avoir reçu aucun soutien, la moitié regrette l'absence d'une réunion. « Il faut aussi parfois apporter un soutien matériel, dans les démarches administratives, dans l'annonce aux autres patients ou dans la reprise de certaines thérapies », suggèrent les auteurs.
Plus à distance, il convient selon eux, de débriefer idéalement avec un tiers puis de reprendre la situation de façon cognitive. Enfin, le confrère concerné peut transformer l'épreuve en s'impliquant dans la prévention du suicide au niveau de l'institution.
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