LE QUOTIDIEN : Le dispositif « VigilanS » est né dans le Nord-Pas-de-Calais. Comment a-t-il été élaboré ?
Dr JARDON : Tout est parti des recherches du Pr Guillaume Vaiva autour de la meilleure façon de maintenir une veille auprès des patients ayant fait une tentative de suicide. Ces travaux s'inspirent eux-mêmes du psychiatre américain Jérôme Motto qui, dans les années 1970, a observé que l'envoi de lettres à des suicidants contribuait à la réduction de la mortalité. C'est une clinique de l'inquiétude, du souci de l'autre, de la relation.
À partir de l'étude des différentes manières de garder contact (envoi de lettres ou de cartes postales, remise d’une carte ressource, appels téléphoniques systématiques), le Pr Vaiva a proposé l'algorithme Algos : ce dernier identifie la modalité la plus adaptée à un patient donné. La carte ressource est pertinente à l'égard des primo-suicidants ; les récidivistes, plus à risque, auront davantage besoin d'être rappelés au cours du premier mois.
VigilanS est la déclinaison en soins courants de ce protocole Algos, déployée à partir de 2015 dans le Nord-Pas-de-Calais, sous l’impulsion de l’Agence Régionale de la Santé et du CHRU de Lille en collaboration avec le Samu-centre 15.
Concrètement, comment VigilanS fonctionne-t-il ?
Les services d'urgences et de réanimation qui reçoivent les suicidants (une trentaine dans la région) les évaluent et transmettent au dispositif une fiche d'inclusion. L'algorithme indique la méthode de recontact à adopter.
Tous les récidivistes et les primo-suicidants à risque (mineurs et tentatives de suicide -TS- ayant nécessité une réanimation) sont appelés 10 à 20 jours après leur hospitalisation. Cela représente les 2/3 des patients entrés dans le dispositif ; tout le monde se voit remettre une carte ressource avec un numéro vert.
L'équipe des VigilanSeurs (les appelants) est constituée de cinq infirmiers et cinq psychologues à mi-temps, basés au sein du Centre 15, à Lille. Leur appel obéit à une structure préétablie : il s'agit de savoir comment vont les gens, puis de reprendre les éléments du compromis de sortie d'hospitalisation. Si le VigilanSeur constate que le contexte de crise perdure, il peut proposer une gestion de crise, des appels intermédiaires, voire l'envoi de moyens sanitaires au domicile en collaboration avec la régulation médicale du Centre 15. Il ne s'agit pas de se placer en première ligne, mais de favoriser l'accès aux soins en prenant contact avec le médecin généraliste ou le psychiatre. Les situations de crises représentent un peu moins de 20 % des appels aujourd'hui.
Si la personne va bien, on ne rappelle pas, mais on fait savoir qu'on reste à disposition.
Lorsqu'on ne parvient pas à joindre la personne, on lui envoie quatre cartes postales personnalisées les quatre mois suivant.
À six mois enfin, tous les bénéficiaires de VigilanS sont appelés pour clôturer la veille active, ou la prolonger si nécessaire.
Chaque appel fait l'objet d'une synthèse et d'un compte-rendu envoyé au médecin traitant (ce qui au passage permet de développer le travail en réseau et de faire connaître le dispositif).
Quel est le bilan de VigilanS ?
L'étude de Santé publique France « EvalVigilanS », qui analyse les données du dispositif entre 2013 et 2018, est encore en cours.
De premières analyses ont mis en lumière une diminution de 13,5 % des passages aux urgences pour TS entre 2014 (où 10 119 passages étaient recensés dans le Nord-Pas-de-Calais) et 2017 (9 230). Elles ont aussi montré une accélération de la diminution des séjours pour TS dans le Nord-Pas-de-Calais après 2014 (−16 % au lieu de −6 %), contrairement aux deux départements picards comparables qui affichent une dégradation du phénomène (+13 %).
Nous recensons quelque 15 000 personnes dans notre base régionale, depuis 2015. En 2019, 4 500 ont été incluses. Soit la moitié de toutes les TS amenées aux urgences.
L'épidémie de Covid-19 a-t-elle eu des répercussions sur le dispositif ?
Nous avons constaté une baisse des inclusions de patients, de 400 d'habitude, à environ 260 en avril et mai. Le contexte de Covid-19 a-t-il aggravé ou atténué les conduites suicidaires ? Ces chiffres s'expliquent-ils par moins de gestes suicidaires, moins d'arrivées à l'hôpital à cause du confinement, ou des difficultés d'inclusion ou de codage en raison de la désorganisation des centres ? Des recherches se lancent pour répondre à ces questions.
En outre, lors de la crise liée au Covid, nous avons décidé de rappeler tous les suicidants, et non seulement les plus à risque.
Quels sont les défis aujourd'hui pour VigilanS ?
Dans le cadre du déploiement national du dispositif, souhaité par le ministère de la Santé, il serait intéressant que toutes les régions possèdent un même système d’information.
Plus largement, nous devons avoir les moyens de tenir nos missions, et en particulier de respecter les délais dans lesquels nous devons recontacter les personnes. Afin de ne pas arriver après la bataille.
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