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Dossier

Handicap

2015, un rendez-vous inaccessible ?

Publié le 18/10/2013

En théorie, il ne vous reste qu’un peu plus d’un an pour mettre votre cabinet aux normes comme le prévoit la loi. Et le défi est de taille. Nombre de cabinets anciens ne sont pas aux normes et tous les types de handicap doivent être pris en compte. Que se passera-t-il si vous n’êtes pas prêt ? Ce dossier vous donne les clés pour vous adapter. Et, pour la suite, la ministre Marie-Arlette Carlotti annonce une ordonnance « pour compléter la loi de 2005 »...

« Aujourd’hui, en France, le libre choix de son médecin traitant, de son ophtalmologiste, de son gynécologue ou de son dentiste n’existe pas pour les personnes en situation de handicap. » Le dernier baromètre de l’Association des Paralysés de France (APF) est sévère pour les blouses blanches. Les médecins comme la majorité des professions libérales sont loin, en effet, d’être prêts pour l’échéance du 1er janvier 2015. Le constat, posé par le rapport de la sénatrice Anne-Lise Campion, confirmé par le rapport Jacob en juin, puis par le Comité interministériel au handicap (CIH) qui s’est réuni le 25 septembre n’épargne pas les cabinets médicaux. La mise aux normes de ceux qui sont installés dans des bâtiments anciens pose de nombreuses difficultés techniques et financières certes, mais aussi psychologiques ou politiques. Pourtant, la loi a été votée, il y a presque dix ans, ce qui a laissé du temps pour s’y préparer.

Un manque d’information préoccupant

« Bon nombre de nos confrères pensent que la loi ne sera pas mise en application car elle est trop contraignante pour les professions libérales. Ils ne s’inquiètent donc pas et n’envisagent pas les moindres travaux de mise en conformité », explique le Dr Luc Duquesnel, le nouveau président de l’UNOF. « Ils méconnaissent totalement le contenu de la loi qui pose des normes d’une grande complexité », poursuit-il. Les plus informés vivent souvent cette loi comme une nouvelle contrainte administrative et financière. Et, de fait, les sanctions prévues peuvent effrayer : fermeture possible des cabinets, interdiction éventuelle d’exercer, amende de 75 000 euros maximum et cinq ans d’emprisonnement pour discrimination en raison du handicap de la personne ! « Certains médecins – notamment ceux qui sont proches de la retraite – menacent tout simplement de dévisser leur plaque. Même si c’est une réaction épidermique, on ne peut ni mesurer, ni négliger ce risque de fermeture de cabinets en 2015 », avertit le Dr Duquesnel.

Autre point essentiel dont les soignants n’ont pas forcément pris conscience : le risque de responsabilité médicale. Demain, un accident arrivé au cabinet sera d’autant plus pénalisé si celui-ci n’est pas aux normes… Un risque que les assureurs, eux, ne négligent pas puisqu’ils ne manqueront pas de demander l’attestation conformité dans les prochains renouvellements de contrat.

Conscientes de cette situation, les URPS se mobilisent pour informer les professionnels de santé. « À l’URPS d’Ile-de-France, nous avons élaboré une plaquette sur l’accessibilité des cabinets pour les patients sourds ou malentendants et nous avons organisé début octobre une journée de sensibilisation au handicap », se félicite le Dr Jean Philippe Grundeler, vice-président de l’URPS Ile-de-France. Dans toutes les régions, l’accent est donc mis sur l’information et la nécessité de procéder à des audits des locaux professionnels en vue de leur mise aux normes. Audits que les URPS proposent à leurs adhérents pour un prix variant de 500 euros dans les Pays de la Loire à 800 euros en Ile-de-France. « Les URPS sont complètement dans leur rôle, car des sociétés n’hésitent pas à proposer à des médecins isolés des tarifs prohibitifs pour dresser un état des lieux du cabinet », prévient le Dr Duquesnel.

A priori, le mot d’ordre est à la mise aux normes même si nombre de confrères rechignent. Comme le Dr Bruno Deloffre, médecin généraliste dans les Hauts-de-Seine et vice-président de MG France : « J’ai la chance d’avoir un cabinet plus ou moins aux normes. Mais j’ai trois marches dans l’entrée de l’immeuble pour accéder au hall. Selon cette loi, je devrais faire installer un élévateur... En face de mon cabinet, j’ai la gare qui n’est pas aux normes, je n’ai pas de place handicapé sur le parking… Je ne vois pas pourquoi j’investirai si la commune n’investit pas ! » Le rôle des communes est souvent au cœur des débats agités sur ce sujet de l’accessibilité. « Il est hors de question de prendre en charge des sommes colossales pour les travaux, s’indigne Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des Médecins de France. On encouragera les collègues à ne pas les faire ! Qu’ils sortent les prunes ! »

Des dérogations... et de possibles aménagements

Evidemment du côté de la Délégation interministérielle au Handicap cette résistance agace. Soraya Kompany, adjointe au délégué interministériel aux personnes handicapées, qui a participé à l'élaboration de la loi du 11 février 2005 et des textes réglementaires relatifs à l'accessibilité, s’étonne de la prise de conscience tardive de professionnels de santé qui côtoient chaque jour le handicap. Elle déplore la mauvaise volonté des professions libérales face aux trois situations actuelles : installation dans un bâtiment neuf depuis 2007, celui-ci étant en principe aux normes; création d'un cabinet par changement de destination entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2010 dans un local autre qu’un logement (par exemple, un ancien entrepôt), accessibilité obligatoire au moment de l’ouverture; enfin, un médecin qui exerce dans un bâtiment existant avant 2007 a jusqu’au 1er janvier 2015 pour le rendre accessible au public.

Les mesures essentielles de mise aux normes pour les cabinets médicaux ne sont, aux yeux de Soraya Kompany, pas si démesurées : elles concernent le cheminent du patient de la voirie jusqu’à la salle de consultation. Ce qui implique certes de prendre quelques dispositions quant au stationnement devant le cabinet et de respecter des points de vigilance pour le cheminement (largeur minimale d’accès, portes, hauteur de pente, palier de repos, rampe, escaliers, couleurs, signalétique…). Second point qui pose problème : les sanitaires. Faut-il en avoir deux par cabinet dont l’un pour accueillir un fauteuil roulant ? Tout dépend du bâtiment dans lequel on exerce ; pour ne pas faire d’erreur, le mieux est de se consulter le règlement sanitaire départemental (généralement l’article 67) disponible auprès de la préfecture de département ou de l’ARS.

Soraya Kompany tempère aussi les réticences des réfractaires à la mise aux normes en expliquant qu’en fonction de la situation du bâtiment, la loi a prévu des dérogations et des atténuations avec la possibilité de mise en place de mesures de substitution. Parmi les cas de dérogations : les bâtiments classés monuments historiques que l’on ne peut pas modifier, les raisons techniques avérées qui peuvent avoir un impact sur la structure même du bâtiment, mais aussi l’impact financier démesuré sur le chiffre d’affaires.

Ces mesures d’atténuation sont destinées à faciliter la mise aux normes dans la mesure où le médecin n’est pas en mesure de remplir toutes les obligations prévues par la loi, mais il faut des justificatifs et donc anticiper avant que le contrôleur de la mairie vienne vous épingler. En outre, certaines mesures de substitution pourraient être aménagées, mais elle ne sont pas encore définies par la loi. Parmi celles suggérées par le rapport Jacob : la possibilité par exemple de justifier de visites à domicile ou la participation du médecin à des plates-formes de soins accessibles... Une circulaire du ministre en date du 2 avril 2013 donne d’ailleurs carte blanche aux préfets pour avoir une interprétation facilitatrice de la loi. Ce qui devrait rassurer nos confrères. « Mais ces dérogations doivent rester exceptionnelles car la déontologie implique de rendre service à ses patients?!?», conclut tout de même Soraya Kompany.

La loi de 2005 est-elle trop contraignante pour les professions libérales ? Réagissez sur redaction@legeneraliste.fr