« L’épidémiologie des cancers s’est modifiée en France ces vingt dernières années », constate le Pr Véronique Trillet-Lenoir (chef du service d’oncologie médicale, CHU de Lyon). Ainsi, on met en évidence une incidence très élevée des cancers de prostate, probablement du fait du dépistage, et celle des cancers de la thyroïde, sans doute en raison du surdiagnostic. L’incidence d’autres cancers est en augmentation. Notamment ceux du pancréas. Le diabète, des facteurs chimiques ou environnementaux pourraient être en cause. On assiste également à une augmentation de l’incidence des cancers du testicule, qui pourrait être liée à des perturbateurs endocriniens in utero. Une hausse de l’incidence des cancers du sein chez la femme jeune (30, 40 ans) est enfin notée, qui pourrait être due à des facteurs environnementaux.
L’avantage d’une agence spécialisée
Face à ces périls, la France est-elle le bon élève sanitaire de l’Europe ? Oui, mais pas dans tous les domaines. D’après le Pr Jean-Yves Blay (directeur de pôles de science cliniques du centre Léon-Bérard (Lyon), la survie des patients en France après cancer reste une des plus favorables en Europe. Autre bon point : la France est le seul pays qui s’est doté, pour appliquer le plan cancer, d’une agence spécialement dédiée à la recherche et aux soins en cancérologie. L’Institut national du cancer (Inca) délivre des recommandations habilitant les établissements à pratiquer les différentes thérapeutiques oncologiques. « Avoir une agence de ce type est indubitablement un avantage hexagonal », note le Pr Trillet-Lenoir. Notre pays a aussi la caractéristique de posséder des plates-formes génétiques moléculaires permettant des diagnostics ciblés pour l’ensemble de la population. La France excelle également dans la prise en charge des cancers rares (20 % des cancers, mais 30 % de la mortalité), car un effort important a été fourni à ce niveau par l’Inca, ce qui a permis à la France de se positionner au premier rang sur le plan européen et mondial.
Une prévention qui reste à la traîne
« En revanche, un des domaines où la France reste mauvaise, c’est celui de la prévention, souligne le Pr Véronique Trillet-Lenoir. Nous nous distinguons de la plupart des pays développés par l’échec constant de nos campagnes contre le tabagisme et l’alcoolisme, dû aux lobbies, très puissants pour le tabac au niveau mondial et pour l’alcool au niveau national ». Même si, pour la promotion de l’activité physique et l’éviction de la malbouffe, la science a fait des progrès. Le Pr Jean-Yves Blay, souligne que la « France est insuffisante sur les vaccinations à visée préventive des cancers, comme celles anti-HPV, qui couvre 20 % des jeunes femmes alors que cette vaccination avoisine les 50 % et plus dans les principaux pays d’Europe ».
Quant au dépistage, « il est en France bien organisé, encadré par un plan cancer qui recommande et rembourse à 100 % le dépistage des cancers du sein, colorectaux, mais tout cela est remis en question par la récente concertation citoyenne qui risque bien de conduire à ne plus convoquer systématiquement les femmes entre 50 et 74 ans pour dépister les cancers du sein » dénonce Véronique Trillet-Lenoir. Or, en termes de résultats, la mortalité par cancers du sein a baissé de 10 % environ dans les deux dernières décennies, ce qui peut, au moins en partie, selon elle, être attribué au dépistage.
Autre point noir, « la France peut encore progresser pour la coopération hôpital-ville, très balbutiante. Rien n’est fait pour que les patients soient externalisés et que leur suivi en ville soit correct. Un très bon exemple est celui des chimiothérapies orales, où l’essentiel de l’administration et de la gestion des effets secondaires est entre les mains des médecins de ville, pas forcément formés à cet effet », note l’oncologue lyonnaise.
Des ressources médicamenteuses insuffisantes
« Notre pays a aussi un manque en termes de suivi des résultats, contrairement à certains pays qui on mis en place un système de monitoring de la qualité de la prise en charge évaluée notamment par la survie des patients, comme les Pays-Bas, ajoute le Pr Blay. Enfin, nous ne sommes pas performants, selon lui, pour la distribution des médicaments anticancéreux. » Beaucoup de médicaments dont l’efficacité a été prouvée mettent en effet beaucoup de temps avant d’être à la disposition des patients. « Cela est dû à un processus de mise à disposition, de fixation du prix qui est compliqué », dénonce le Pr Blay. On se retrouve avec moins de médicaments anticancéreux que l’Angleterre. Cela pose un problème car plusieurs médicaments améliorant la survie ne sont pas disponibles pour le patient français, alors qu’ils le sont dans la plupart des pays d’Europe. Comme le Xofigo® pour le cancer de la prostate, le ramucirumab pour le cancer de l’estomac, le Yondelis® pour certain sarcomes.
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