Contrairement aux douleurs aiguë et neuropathique, les femmes sont sur-représentées dans la douleur chronique, quelle qu’en soit la nature – ou presque – avec un ratio de deux à trois femmes pour un homme dans tous types de douleur confondus (céphalées, douleurs abdominales, d'origine musculosquelettique), à quelques exceptions près comme l’algie vasculaire de la face à prédominance masculine. Deux pathologies se distinguent, car elles sont encore plus prévalentes dans la population féminine avec des sex-ratios plus nets : la migraine et la fibromyalgie, avec respectivement des ratios de 3/1 et jusqu’à 6/1.
Testostérone et œstrogènes
« Le rôle des œstrogènes est de plus en plus étayé dans la majorité des douleurs chroniques, assure le Pr Nadine Attal (Inserm U 987 et centre d’étude et de traitement de la douleur (CHU Ambroise Paré – AP-HP). La plupart des études expérimentales ont mis en évidence un seuil de tolérance à la douleur plus faible chez la femme, à mettre sur le compte de facteurs peut-être génétiques et certainement hormonaux. » Le Pr Serge Marchand, neurophysiologiste au centre de recherche du CHUS et à la Faculté de médecine (université de Sherbrooke, Canada) détaille le rôle de ces hormones :
« Des niveaux de testostérone élevés augmenteraient le seuil de tolérance à la douleur. » De leur côté, les œstrogènes et la progestérone agissent sur le phénomène de contre-irritation capable de minimiser la douleur suite à une stimulation nociceptive. L’efficacité de ce système de contre-irritation se trouve réduit par des taux élevés d’hormones sexuelles chez les femmes. Ainsi, pendant toute la période péri-menstruelle, ce système de freinage s’avèrerait nettement moins efficace. Et il est soupçonné de jouer un rôle dans le risque de développer des douleurs chroniques.
Selon le cycle
À cela s’ajoute la modulation des taux d’endorphines impliquées dans l’analgésie et qui est sous l’influence des hormones sexuelles. Par exemple, à certains moments du cycle menstruel (phase folliculaire), ces taux d’endorphines baissent. Mais cataloguer les œstrogènes et la progestérone comme pro-nociceptifs serait un raccourci erroné : « C’est bien plus complexe », nuance le Pr Serge Marchand. « Certains sous-récepteurs œstrogéniques étant protecteurs, d’autres au contraire hyper-algésiques. » Les différences de sensation douloureuse relèvent en fait plutôt d’un fragile équilibre entre œstrogènes-progestérone et testostérone. Toutefois, de manière globale, ce rôle des hormones et leur implication dans le ressenti de la douleur font débat parmi les scientifiques. Et des travaux complémentaires seront nécessaires.
Au niveau fondamental, il a été montré qu’une autre inégalité se niche jusqu’au niveau des sous-récepteurs aux opiacés, avec une réponse moindre chez la femme aux morphiniques ciblant les sous-récepteurs opiacés μ, alors qu’elle est plus sensible à des antalgiques ciblant plutôt les sous-récepteurs kappa (Pain, 2013).
Des facteurs de vulnérabilité
Côté féminin, les comorbidités psychiatriques pourraient figurer comme autre facteur de risque. « Il y a probablement une part de vulnérabilité à la douleur liée à des facteurs de risque associés », s’interroge Nadine Attal, « tels que des troubles anxieux et/ou dépressifs, plus fréquents chez les femmes ». Il est en effet bien démontré que ces troubles sont souvent associés à la douleur chronique. Des études en neuropsychologie ont confirmé la tendance chez les femmes à ressentir une anxiété d’état (de base) supérieure à celle des hommes, lesquels ont, pour leur part, une plus forte anxiété situationnelle. « Des tests sur les hommes et femmes ont démontré le poids de l’anxiété dans le ressenti de la douleur », complète le Pr Serge Marchand. « Si l’on fait covarier ce niveau d’anxiété d’état et situationnelle, on ne retrouve presque plus de différence de genre vis-à-vis du ressenti douloureux ». D’où la nécessité, pour le soignant, d’agir sur ce niveau d’anxiété d’état, qui joue significativement sur la douleur de la patiente.
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