Identifier les dépendances propres aux femmes est déjà un écueil. Pour le tabac, les données ne manquent pas. En 2015, 25 % des 15-75 ans fumaient régulièrement ou occasionnellement (31 % des hommes). À 17 ans, le tabagisme est équivalent chez les deux sexes. Les femmes enceintes sont 24 % à fumer quotidiennement. Pour le reste, « grâce à quelques études, on commence tout juste à identifier quelques particularités et facteurs de risque, mais la question reste taboue », constate le Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre addictologue* qui a ouvert la première consultation d’alcoologie pour femmes à l’hôpital Sainte-Anne à Paris et préside l’association AddictElles. Si l’on s’en tient aux statistiques des centres d’accompagnement spécialisés (CSAPA, CAARUD), « ils restent plus fréquentés par des hommes, les femmes représentant 20 à 25 % du public », souligne Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction. Le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017, soutenu par la Mildeca**, consacrait un volet au repérage et à l’accompagnement des femmes qui plongent dans l’usage de substances psychoactives. Dans ce cadre, la Fédération Addiction a élaboré en 2016 un
guide spécial destiné aux professionnels, qui peut être téléchargé sur le site www.federationaddiction.fr.
Gare aux apparences
Comportements et consommations de substances addictives tendent à converger à mesure que l’écart homme-femme se réduit dans la société, relève l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), même si l’addiction reste apparemment une maladie à prédominance masculine. C’est le cas pour les drogues illicites, à l’exception du cannabis, de loin le plus consommé selon l’OFDT, avec un écart qui diminue chez les plus jeunes. Pour l’alcool aussi, a priori : les femmes sont trois fois moins nombreuses à déclarer une consommation régulière.
Mais gare aux apparences. Le problème majeur de l’addiction au féminin est qu’elle avance masquée. Elle est majoritairement inavouée, toujours plus fortement stigmatisée, car contraire aux représentations sociales, à l’image de la mère, de la femme. « Dans un quartier populaire de Mantes-la-Jolie, je devais parfois faire entrer les femmes en consultation par une porte arrière pour qu’on ne les voie pas », se souvient Jean-Pierre Couteron. Les milieux éduqués sont aussi concernés. Parfois couplé à d’autres substances (cannabis, cocaïne), l’alcoolisme féminin y a gagné du terrain, « avec des femmes fonctionnant à flux tendu toute la journée et qui tiennent le coup parce qu’elles savent qu’elles boiront ou fumeront le soir », confie le Dr Bouvet. « Elles culpabilisent plus et sont très fortes pour dissimuler. Pour l’alcool, elles mettent 10 à 30 ans à consulter, alors que chez elles, la maladie se complique plus rapidement. »
Enquête ciblée
L’OFDT dévoilera d’ici la fin de l’année les résultats de son enquête Ad-Femina, évaluant l’accompagnement en addictologie des publics féminins. L’améliorer est une nécessité. Si les addictologues perçoivent dans leur pratique clinique quotidienne qu’elles n’échappent pas aux conduites problématiques, l’addiction chez les femmes reste encore méconnue, insuffisamment prise en charge, faute de structure et/ou d’approche adaptée.
Le mésusage des psychotropes
D’après l’OFDT, de toutes les substances psychoactives, les psychotropes sont particulièrement consommés côté féminin. « On manque de chiffres précis », déplore Jean-Pierre Couteron, et il est difficile de tracer la frontière entre usage justifié et mésusage, note l’OFDT qui observe que cette surcon-sommation féminine, constatée à l’échelle européenne, semble induite par une approche très sexuée de la santé mentale. En clair, les soignants ont plus volontiers tendance à chercher une origine psychologique aux plaintes physiques des femmes. Le risque : les voir prolonger le traitement, sans conscience de la dépendance et sans le « frein du produit interdit », relève le Dr Bouvet qui voit arriver des patientes « au bout de deux-trois ans sous Lexomil®, prescrit parce qu’elles étaient un jour dans un grand état de mal-être, mais sans que le problème de fond ait été résolu ».
* Auteur de « Les femmes face à l’alcool » (Odile Jacob, 2010).** Mildeca : mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.
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