Douleur

Pourquoi la femme est plus sensible

Publié le 03/06/2016
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Selon des travaux anglo-saxons, la douleur n'emprunte pas tout à fait les mêmes circuits biologiques chez l'homme et chez la femme, et peut être influencée par des variants génétiques différents. Avec, à la clé, une sensibilité accrue à la douleur chez la femme.

Les femmes représentent environ 70 % des patients traités pour des douleurs chroniques. Cette prédominance féminine a de multiples explications, parmi lesquelles une sensibilité particulière à la douleur. « Des centaines d'études expérimentales ont été menées, observe le Dr Jeffrey Mogil, du laboratoire de génétique de la douleur à l'université McGill (Montréal). Elles ne montrent pas toujours de différences, mais lorsqu'il y en a, elles vont toujours dans le sens d'une plus grande sensibilité des femmes à la douleur ».

Les écarts observés, minimes, sont certainement en partie d'origine culturelle. Les hormones pourraient jouer aussi un rôle. Mais pour le Dr Mogil, les voies biologiques de la douleur sont tout simplement « radicalement différentes » chez l'homme et chez la femme. « Depuis 20 ans, nous avons appris que les neurones ne sont pas les seules cellules impliquées dans la douleur, explique-t-il. Les cellules microgliales jouent aussi un rôle très important. Mais les études ont toutes porté sur des animaux mâles. En étudiant des souris et des rates femelles, nous avons observé que la microglie n'intervient pas dans la douleur chez elles et que ce sont plutôt les cellules T ».

Comment expliquer une telle différence ? « Peut-être que la pression de sélection a fait évoluer les mécanismes de la douleur vers des voies distinctes au cours de l'évolution », répond le Dr Mogil. Des centaines de gènes modulent la perception de la douleur et un nombre croissant de polymorphismes est identifié. « Certains gènes ont un effet chez l'homme mais pas chez la femme et inversement », constate encore le Dr Mogil, qui a découvert que l'activation des récepteurs NMDA a un effet inhibiteur de la douleur chez le mâle, mais pas chez la femelle. En revanche, chez celle-ci, le gène du récepteur de la mélanocortine 1 (MC1R) semble associé à la variabilité individuelle de l'inhibition de la douleur.

Autre exemple, un polymorphisme du gène des récepteurs de la vasopressine influence l'efficacité des mécanismes antalgiques endogènes chez la souris mâle, mais pas femelle. En recherche clinique, ce polymorphisme modifie les scores de douleur uniquement chez les hommes en état de stress.

Des molécules actives chez l'homme et pas chez la femme
Ces différences entre hommes et femmes n'ont pas qu'un intérêt théorique. « Actuellement, beaucoup de moyens et d'énergie sont consacrés au développement de molécule analgésique sur la base de données fondamentales dont une partie ne s'applique qu'aux hommes, remarque le Dr Mogill. Cela pourrait expliquer les résultats négatifs de nombreux essais cliniques. Des molécules sont actives chez l'homme et pas chez la femme. Et quand on regroupe les données, on conclut que le médicament ne marche pas. »  Des réserves à prendre en compte, alors que des molécules ciblant la microglie sont en développement.

Dr Isabelle Leroy

Source : lequotidiendumedecin.fr