Rien n’avait préparé cet ancien médecin généraliste à considérer le cannabis autrement que comme une drogue. Surtout pas sa formation médicale ! Et pendant longtemps, sa sclérose en plaques, diagnostiquée en 2012, n’y a rien changé. Il a finalement plongé dedans en siégeant en tant que représentant de patients au premier comité scientifique temporaire de l’ANSM, en 2018, pour préparer l’expérimentation. Auteur d’un ouvrage détaillé sur la cannabis médical paru cet automne *, il va prochainement partager sur un blog dédié le journal de bord de son expérience personnelle (moncannabismedical.fr).
Comment avez-vous été convaincu de l’intérêt du cannabis médical ?
Dr Pascal Douek : Lorsque j’ai rejoint le groupe de 13 experts constitué en septembre 2018 à l’ANSM pour décider s’il était pertinent d’autoriser le cannabis médical en France, cette idée d’un usage thérapeutique, totalement nouvelle pour moi, a éveillé ma curiosité. Parmi les 4 représentants de patients, j’étais le seul à pouvoir éventuellement en devenir bénéficiaire. Mais pour représenter légitimement les malades de sclérose en plaques, il fallait que je puisse interroger des utilisateurs. Au départ, cela n’a pas été simple : ceux que je contactais avaient de vraies réticences à raconter ce qu’ils utilisaient et comment, puisque c’est illégal. Pendant les dix mois de travail, au fil des interviews de personnes qui présentaient les mêmes symptômes (douleurs neuropathies et spasticités) que moi, à force de les entendre raconter combien le cannabis leur permettait de sortir d’impasses thérapeutiques, j'en suis rapidement devenu un fervent défenseur. Le témoignage d’Olivier Véran, racontant lors d’une table ronde à laquelle nous participions à l’assemblée nationale comment certains de ses patients lui disaient avoir pu diminuer douleurs et consommation d’opioïdes, m’a également beaucoup convaincu.
Vous n’avez pas été tenté d’essayer ?
Dr P. D. : Si, car entre ce travail préparatoire et le lancement de l’expérimentation, il s’est écoulé deux ans et demi et il n’était pas gagné que je puisse en faire partie. Mais c’est un parcours du combattant : le cannabis médical n’a rien à voir avec celui de la rue, sélectionné pour son très fort taux en THC, source d’effets secondaires très négatifs. Lorsque vous achetez au hasard, vous ne savez rien des concentrations en THC et CBD. Je me suis donc fié à ce que m’avaient indiqué des personnes interviewées. Suivant l’expérience de l’une d’elles, j’ai commandé des fleurs séchées en Suisse, dosées à moins de 1% en THC et très riche en CBD ; mais ce qui la faisait mieux dormir la nuit n’a eu aucun effet sur moi. J’ai aussi essayé le cannabis du marché noir, mais là l’effet « défonce » était très violent. Ce n’est absolument pas ce que je recherche. Je me suis donc transformé en apprenti sorcier qui essaie de faire des mélanges, mais franchement ce n’est pas sérieux. Et quand j’ai voulu en parler à mon médecin, il n’avait aucun avis.
Comment s’est déroulé la première prescription ?
Dr P. D. : Les conditions pour faire partie de l’expérimentation sont restrictives. Mais j’ai la chance d’être suivi dans un service du CHU de Montpellier, qui s’implique, et vu mon parcours médical, ayant déjà essayé de nombreux autres traitements, j’espérais pouvoir être éligible. J’ai appris que je l’étais en mars. Mon premier rendez vous a eu lieu le 30 avril avec une neurologue qui a suivi les 4-5 heures de formation. Après un point rapide de mon histoire médicale et lecture du bilan sanguin que je lui ai apporté, elle a procédé à un test cognitif et à un test de coordination des mains, chronométré : ils seront réitérés lors des prochaines consultations. Il a été décidé que le produit le plus adapté à mon cas, en complément de mes traitements habituels, est une huile de cannabis sublinguale, à taux THC-CBD - comme ce que propose le Sativex - dont les études cliniques ont démontré qu’il est le plus indiqué pour les spasticités. La titration de départ est quasi-homéopathique : on doit d’abord monter par paliers tous les deux jours. Au bout de huit, on reste à la même posologie jusqu’au mois suivant.
Quel verdict à l'issue de ce premier mois ?
Dr P. D. : Au goût, ce n’est pas désagréable. Les seuls effets ressentis pour l’instant, c’est la bouche un peu sèche et globalement moins de levers nocturnes liés aux troubles urinaires. Rien d’autre en revanche. Je ne suis pas déçu. Le dosage cible à atteindre dans mon cas est de 1,7 ml/ jour et pour l’instant je n’en suis qu’à 0,4 ml. Je suis patient : je sais que le cannabis médical n’est pas une pilule miracle et que l’on doit procéder par paliers avec ce traitement dont la clé est sa personnalisation. Le but est de trouver la dose minimale efficace, sans effets secondaires, et aucun patient ne réagit de la même façon. Il y en aura sans doute d’ailleurs, qui ne le supporteront pas. J’ai bon espoir que l’on trouve le palier qui me convienne, sans que je sois « shooté » : si je dois choisir un jour entre douleurs et perte des fonctions cognitives, je préfère conserver ces dernières.
Pensez-vous important que les généralistes s’y intéressent ?
Dr P. D. : Le mien a accepté de me suivre pour renouveler mes ordonnances, en dehors des consultations obligatoires au CHU - de même que ma pharmacie - et je m’en réjouis : étant en fauteuil roulant, aller tous les mois de Sète à Montpellier n’est pas simple. Et oui je trouve essentiel que les généralistes s’y intéressent et s’y confrontent en tant que praticiens de proximité. La porte de l’expérimentation leur est ouverte. Ils pourront toucher du doigt les effets avec leurs patients, et se faire un avis plus concret que celui émis par l’Académie de Médecine. Il faut néanmoins s’y former : c’est d’ailleurs pour cela qu’un DIU a été créé entre Paris et Montpellier, avec les Pr Benyamina et Pierre Labauge en novembre dernier. La formation est la clé de la réussite du cannabis médical ; c’est ce que démontrent l’expérience du Canada ou des Pays Bas : un médecin qui ne sait pas n’en prescrit pas.
* « Le cannabis médical. Une nouvelle chance : pourquoi ? Pour qui ? Comment ? » (Ed Solar 2020)
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