Pour prévenir les pénuries de produits de santé, l'une des propositions fortes du Sénat consisterait à créer un pôle public de production et de distribution des médicaments essentiels. Le rapport des sénateurs suggère de confier la fabrication de médicaments indispensables à deux agences publiques : l'agence générale des équipements et produits de santé (Ageps, pôle d’intérêt commun de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) ; et la pharmacie centrale des armées (PCA), un laboratoire militaire. Pour les élus, il suffirait de renforcer leurs moyens financiers et leur capacité industrielle.
Inspirée du modèle suisse, cette réforme permettrait aux deux organismes publics de constituer des réserves stratégiques de produits – vaccins, anti-infectieux et produits stériles injectables – pour faire face à des événements extraordinaires (catastrophes naturelles, épidémies) ou à des tensions d'approvisionnement. Il serait possible également de reprendre la production d'un médicament indispensable menacé de suspension ou d'arrêt de commercialisation mais aussi d'attribuer des mandats de production à des entreprises françaises ou européennes pour fabriquer des médicaments de « niche » (pédiatrie, maladies rares, certains cancers).
Défendue de longue date par des élus communistes et de la France insoumise, l'idée de créer un programme public du médicament n'a jamais eu d'écho favorable au gouvernement. « La création d’un pôle public de production avec ces deux organismes reste un concept, admet Jean-Pierre Decool, sénateur du Nord (Les indépendants, République et Territoires), rapporteur de la mission. Mais nous n’aurons pas de retour de la production en France sans faire des efforts financiers. » Les sénateurs ont l'intention de déposer une proposition de loi en ce sens.
Prérequis réglementaires
Pour l'économiste de la santé Claude Le Pen, « cette position logique du Sénat de pôle public risque de se heurter à des difficultés pratiques non négligeables ». « Si la pénurie est liée à un problème d’approvisionnement en matières premières, les deux structures publiques connaîtront les mêmes soucis. Par ailleurs, ils devront respecter toutes les contraintes réglementaires de fabrication. Le pourront-ils ? » s'interroge l'expert.
Interrogée par « Le Quotidien », l'Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps, AP-HP) souligne que ses missions sont aujourd'hui très encadrées. De fait, cet organisme est chargé de fabriquer des médicaments selon des besoins précis exprimés par les pharmacies à usage d'intérieur (PUI), par les praticiens hospitaliers et en cas d'arrêt total de commercialisation d'un médicament. Elle produit seulement 44 médicaments dont trois spécialités avec AMM – les autres étant des prescriptions hospitalières. Pour Claire Biot, directrice de l'Ageps, le pôle pharmaceutique fabrique donc « assez peu » : 88 lots de médicaments et 2,1 millions d'unités en 2017. La dernière fois que cette agence a été sollicitée pour prendre le relais de fabrication d'un médicament en arrêt de commercialisation remonte à 2008… Il s'agissait de produire la mexilétine, un anti-arythmique indiqué en cardiologie. « Concernant les médicaments indispensables en rupture temporaire fréquente, si la proposition des sénateurs était mise en place, il nous faudrait remplir tous les prérequis réglementaires, expose la directrice. C'est en théorie faisable mais cela demanderait du temps d’adaptation et un investissement financier ».
Également sollicitée, la pharmacie centrale des armées (PCA) ne commente pas la proposition sénatoriale. Mais lors de son audition devant la mission d'information, François Caire-Maurisier, pharmacien en chef, a lui aussi reconnu que, pour assurer une telle mission de production et de distribution de médicaments essentiels, la PCA aurait besoin « d'investissements considérables » et de temps.
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