Notre pays est généreux. Il le montre avec son système de sécurité sociale remarquablement protecteur de tous les malades, quels que soient leurs moyens, et qui est l’un des plus bienveillants en Europe. C’est dans cet esprit qu’a été instaurée l’aide médicale d’État en 2000, dont le dispositif vise, jusqu’à ce jour, à permettre aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier de soins gratuits. L’état d’esprit de ce dispositif est louable et les professionnels de santé en comprennent la philosophie. Mais notre générosité comporte aussi ses limites. « Ce sont toujours nos bons sentiments qui nous font faire de vilaines choses », avait dit le célèbre écrivain Jean Anouilh.
La loi de finances pour 2018 a alloué au budget de l’Aide médicale d’État 923 millions d’euros, soit une progression de 13 % par rapport à l’année précédente. Mais c’est en réalité l’explosion des dépenses liées à l’Aide médicale d’État depuis 2000 qui pose problème. Rendons-nous compte que l’AME était à sa création de l’ordre de 75 millions d’euros et que le dispositif a donc augmenté de 852 millions d’euros en dix-huit ans ?
La ministre dramatise
Au mois de novembre dernier, lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2018, j’ai rappelé ces chiffres élémentaires – qui, je le crois, parlent d’eux-mêmes – à Madame Agnès Buzyn, ministre de la Santé, en tant qu’orateur de mon groupe politique sur la mission Santé. J’avais aussi rappelé que l’AME pose un vrai problème en matière d’égalité entre des citoyens français qui paient leurs cotisations sociales et des étrangers en situation irrégulière qui bénéficient de la gratuité des soins sans avoir cotisé.
La ministre m’avait répondu en dramatisant la situation des bénéficiaires et en les dépeignant comme des ultra-pauvres tuberculeux. Or, les dépenses consacrées aux pathologies lourdes ne concernent pas la majeure partie des personnes éligibles à l’AME. En 2008, on comptait seulement 5 700 cas de tuberculose en France, et l’on sait aussi que 73 % des dépenses de l’AME proviennent de 10 % seulement des bénéficiaires. Résumer la question de l’AME à la tuberculose ou au VIH est donc très réducteur et inopportun.
Nul ne nie la nécessité de protéger la population des maladies infectieuses, mais ne confondons pas ce qui relève des dépenses de droit commun et des dépenses d’urgence ou humanitaires. Des médecins et professeurs de médecine tirent la sonnette d’alarme sur la réalité de certaines pratiques depuis vingt ans qui s’apparentent à du « tourisme social ». Les cas relatés sont nombreux : patients qui utilisent le remboursement de médicaments pour les transférer à l’étranger, des passeurs qui font venir des patients de l’étranger sous le statut de l’AME.
Force est de constater qu’on refuse aujourd’hui de poser le débat autour de l’AME, pour se réfugier derrière de grands principes qui occultent la réalité.
Un problème aussi pour les médecins
L’AME est aussi un vrai problème pour les médecins, en particulier pour les médecins libéraux, qui doivent batailler pour obtenir le remboursement de leurs soins auprès des organismes de sécurité sociale. Ils relatent d’ailleurs les problèmes en série qu’ils rencontrent et notamment le fait qu’ils ne soient remboursés qu’une fois sur deux, sans disposer des moyens logistiques pour effectuer des relances de paiement sur la durée.
Les généralistes sont parmi les plus exposés aux demandes de patients éligibles à l’AME et ils déplorent, à juste raison, le manque de contrôle autour du dispositif. Comment peut-on accepter que nos médecins ne soient pas rémunérés pour les soins qu’ils prodiguent ?
Réformer l’AME apparaît donc comme une nécessité pour rétablir un dispositif qui limite les abus et qui sécurise le remboursement des soins aux médecins. J’avais d’ailleurs proposé le rétablissement du droit de timbre de 30 euros, pour les étrangers en situation irrégulière depuis plus de trois mois sur le sol français, qui a été abrogé en 2012 sous la précédente majorité.
Ouvrons les yeux : le Danemark, la Suisse, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Suède et l’Italie ont tous mis en place des dispositifs modérateurs. L’Espagne a choisi, depuis 2012, de limiter le remboursement des soins aux étrangers en situation irrégulière aux urgences, à la maternité, aux soins aux mineurs, à la vaccination et à la prévention des maladies infectieuses : est-ce pour autant un pays inhumain ?
Je ne le pense pas. Nos voisins ont tout simplement compris que la générosité incontrôlée menait à la dérive.
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