Dimanche, 5 h 10.
— Allô… Toujours d’accord ? À jeudi 7 heures dans le hall de la clinique. Je descendrai vous chercher. Ne soyez pas en retard.
Un œil vers le réveil – malade ce type ! –, et Françoise se rendort.
La trentenaire avait été missionnée par son journal d’écrire le portrait d’un médecin, sur fond de crise hospitalière. Le souvenir du mur blanc de la Clinique Saint-Hilaire dans le 5e arrondissement, face au Jardin des Plantes où sa mère l’emmenait jadis, avait fixé son choix. Parmi les praticiens de cet établissement, un prénom avait piqué sa curiosité : Pline. Dr Pline Morès, chirurgien ORL. Elle pondrait un article sur ce toubib. Il fallait que ce soit lui.
Après une prise de contact tendue, le sujet restait avare de mots et d’expressions. Aucun charisme. Malgré son dépit, Françoise avait bouclé l’interview de cet homme de 59 ans, petit, légèrement voûté, gris des yeux au teint et des tempes au costume. La journaliste ne l’avait pas trouvé sympathique en enregistrant sa voix sèche. Que d’efforts pour ne pas être aimé, pour tisser une telle distance avec les gens et les événements, pour bâtir un rempart de respect ! Pour la déstabiliser, en prenant congé, Morès l’avait sommée d’assister à l’opération d’un patient âgé de cinq ans. « Sinon vous ne comprendrez rien à ma vie ! », avait-il lancé.
Le rendez-vous a donc été pris via ce coup de fil dominical, aussi bref que matinal.
Midi. Là, c’est une heure pour se lever ! En pleine préparation d’un copieux brunch, Françoise imagine déjà ce qui l’attend jeudi.
La jeune femme craint de craquer près du petit être endormi sur le billard, lorsque retentira le mot « scalpel ». Elle a été élevée avec des frères, alors elle saura maîtriser ses émotions et sa phobie du sang. Elle qui rêvait de MSF et de Greenpeace, elle qui avait tenté une PACES en hommage à Fulvie, sa mère trop tôt partie…
Françoise avait adoré son adolescence, contrairement à ses copines des années collège. Grande pour son âge, un charme androgyne sous une frange et de longs cheveux bruns, en jeans baskets pour ravir sa mère fan de l’idole yéyé. Elle avait d’ailleurs choisi un air de Françoise Hardy pour clore les obsèques de Fulvie, dont l’âme fredonne toujours en l’église Saint-Sulpice :
« Mais parfois dans leurs yeux se glisse la tristesse, alors ils viennent se chauffer chez moi et toi aussi tu viendras… J’oublierai à la fois mes larmes et mes peines, alors peut-être je viendrai chez toi chauffer mon cœur à ton bois. »
Après l’enterrement, la silhouette filiforme avait cassé son image. Carré blond, robes fleuries et talons compensés, léger maquillage. Pas de retour arrière. L’adolescente gît dans la tombe. Blonde et adulte elle demeurera.
L’inconsolable orpheline a coutume de lire et relire les carnets découverts à la mort de sa mère. Un jour, elle était tombée sur une page bizarrement collée à une autre. Comme si, d’un au-delà protecteur, l’esprit maternel envoyait un signe, un sourire, un baiser, un secret à la fillette aujourd’hui femme. Griffonné au Papermate bleu, un curieux prénom. En dessous : « Paris 5 ».
Affamée devant le haddock fumé et la brioche qui fleure bon le beurre, la demoiselle abrite soudain un spleen qu’elle n’essaie pas de chasser. Puisque la lutte est inégale, elle lâche prise et accepte les larmes en amies. Seul réconfort, son compagnon high-tech.
— OK Google, joue-moi la playlist « Maman ».
Comme dans ce vieux film, le téléphone sonne toujours deux fois. Reniflant dans une boule de Kleenex, Françoise saisit le portable caché sous un coussin. Son visage se ferme à la vue du nom présenté.
Drôle de dimanche.
Prochain épisode dans notre édition du 24 octobre
Corinne Torrelli ouvre ses yeux bleus le 1er janvier 1965, sur fond de Baie des Anges. Diplômée en informatique, cette artiste dans l’âme connaît un coup de foudre romanesque avec Paris. Après trois décennies, deux grands fils et une carrière à la SNCF, l’insatiable optimiste partage sa sensibilité à fleur de peau et son grain de folie au travers de belles histoires. L’Écriture au Panthéon de ses passions.
Article suivant
# 2 : L'autre
# 1 : La brioche au beurre
# 2 : L'autre
# 3 : Comme une attirance
# 4 : Le prénom bleu
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série