C’était le dernier rendez-vous d’une semaine consacrée à l’exercice de ma spécialité : la cancérologie. Je recevais un nouveau patient et, dès son entrée dans mon cabinet, je ressentis une sensation de déjà-vu. Nous devions avoir sensiblement le même âge car en serrant sa main, je remarquai des taches identiques à celles décorant la mienne. Je notai ses traits tirés et son teint pâle qui trahissaient un état de fatigue avancé.
J’établissais sa fiche en remplissant les champs requis sur l’écran de mon ordinateur, son nom, monsieur Sarda, m’évoquait vaguement quelque chose. Je tentais de chasser cette idée et me concentrais sur l’objet de sa visite.
— Eh bien, je vous écoute…
J’avais renoncé depuis mes débuts à la formule « Qu’est-ce qui vous amène ? ». Un patient, en répondant sèchement « le cancer » m'avait alors donné ma première leçon. Nos professeurs nous avaient enseigné tant de choses ! Je ne me doutais pas encore que les malades prendraient vite le relais. J’avais compris ce jour-là que les mots ne sont jamais innocents et décidé de toujours choisir les miens avec circonspection.
— Votre réputation, me répondit-il en souriant, est excellente, vous réussissez l’exploit de faire l’unanimité aussi bien pour vos compétences que pour vos qualités humaines.
— Merci, c’est très aimable à vous.
— Il m'a semblé important d’établir un premier contact avant d’aller plus loin dans notre relation. Mais je dois vous faire un aveu : nous nous sommes déjà rencontrés, nous étions tous les deux jeunes et fringants à l’époque… me dit-il, laissant sa phrase en suspens pour me donner le temps de faire appel à mes souvenirs.
— Serions-nous de vieilles connaissances ? fis-je, dubitatif.
— Exactement. Les renseignements que j’ai pris sur votre compte renforcent l’opinion que j’avais de vous à cette lointaine époque. Vous étiez pendant vos études une personne appréciée pour son écoute, sa gentillesse et sa serviabilité, ainsi qu’un étudiant brillant, toujours parmi les premiers de la promotion.
— Nous nous sommes rencontrés en fac de médecine ? demandai-je, toujours sans souvenir précis de ce monsieur Sarda.
— Oui, vous aviez décidé très tôt de vous spécialiser en oncologie, discipline effrayante pour beaucoup de futurs médecins.
— C’est vrai, il faut accepter, face à cette maladie, de perdre aussi souvent que de gagner.
— Vous réussissez dans tous les domaines, vous avez une réputation de médecin parfait. Vos patients guéris, et même les proches de ceux que vous avez soignés sans réussir à les sauver, ne jurent que par vous !
— Ce ne sont plus des renseignements que vous avez pris, c’est de l’espionnage, ajoutai-je en souriant.
— C’est vrai, veuillez m’en excuser, mais je voulais être sûr de ne pas me tromper et je souhaitais avant toute chose établir un premier contact, vous serrer la main, sonder votre regard…
— Cette consultation prend une dimension tout à fait atypique, monsieur Sarda.
— Je sais. Et j’imagine sans peine votre charge de travail et la longueur de cette dernière journée de la semaine, c'est pourquoi je vous propose d’en rester là et de fixer un autre rendez-vous. Ma pathologie ne nécessite aucun traitement urgent. Revoyons-nous quand vous êtes disponible, un vendredi en fin de journée.
Ces retrouvailles et ces courts échanges avaient aiguisé ma curiosité, après avoir convenu d’une date, monsieur Sarda insista, à ma grande surprise et malgré mes protestations, pour payer d’avance les cinq premières consultations.
Hermann Sboniek est âgé de 62 ans et habite un petit village de Drôme provençale. Il exerce encore son activité de photographe et profite de son temps libre pour écrire principalement des nouvelles en explorant tous les genres.
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#2 Le deuxième rendez-vous
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#2 Le deuxième rendez-vous
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