Pendant la semaine qui suivit notre second rendez-vous, je repensais souvent à monsieur Sarda. L’annonce du décès de son épouse à la fin de notre précédente rencontre et son désarroi m’avaient profondément ému. Je contactai d’anciens camarades de fac et parvins à réveiller quelques souvenirs enfouis dans ma mémoire. Comme il me l’avait expliqué, nous nous étions effectivement côtoyés jusqu’à notre cinquième année d'études, avant de nous perdre de vue. À ce stade, nous étions encore plusieurs centaines par promotion et, comme nous n'appartenions pas aux mêmes cercles d'amis, la relative distance entre nous s'expliquait.
Lionel, c’était son prénom, allait me surprendre une fois de plus en arrivant à mon cabinet le vendredi en fin d’après-midi avec une glacière.
Je l'accueillis en le saluant par son prénom.
— Bonjour Lionel, je suis content de te voir.
— Bonjour Jean-Louis, moi aussi.
Le tutoiement et l'usage de nos prénoms respectifs détendirent immédiatement l'atmosphère. Au terme d'une semaine harassante, je me sentais plus vieux de dix ans et Lionel affichait un visage creusé par la maladie sournoisement à l’œuvre. Il est indéniable qu’à ce moment précis s’est installée une connivence entre nous, j’imaginais sans peine un moment de détente autour d’une bonne bière. Il semblait attendre de ma compagnie plus qu'une simple relation entre un médecin et son patient. Pour ma part, j’avais acquis la certitude que ses agissements originaux n’étaient qu’une façade destinée à masquer je ne sais quel secret. Je réfrénais mon envie d’en savoir plus et l’interrogeai du regard en montrant la glacière.
— Nous avons un événement à fêter, dit-il et joignant le geste à la parole, posa une bouteille de champagne et deux coupes sur mon bureau.
Surpris, je l’observais pendant qu’il débouchait la bouteille.
— Tu as remarqué que je m’intéressais à tes états de service ces derniers temps, ajouta-t-il.
— Oui, j’en ai même été un peu gêné.
— C’est fini, je suis pratiquement sûr que tu es la personne la plus légitime pour t’occuper de mon cas.
Nos deux coupes étaient maintenant remplies, il me tendit la mienne et me proposa de trinquer. Quand je lui demandais à quel événement nous portions ce toast, il répondit :
— À toi ! Tu es officiellement mon nouveau médecin.
Nos verres s’entrechoquèrent et nous bûmes quelques gorgées. Je lui demandai alors :
— Tu sais Lionel, j’accepte volontiers d’être ton médecin, mais ne crois-tu pas qu'au lieu de boire du champagne avec toi, je devrais plutôt t’examiner et te prescrire des examens ?
— Plus tard ! Savourons ce moment. Toi et moi, nous savons ce qui nous attend. Je te promets de te fournir toutes les informations nécessaires et d'être un patient docile, mais ne gâchons pas ce moment et profitons du calme avant la tempête.
Comme pour illustrer son propos, il a soudain semblé être en proie à de vives douleurs. J’ai reconnu sur son visage les traces de souffrance que je connaissais trop bien. Il tentait de masquer sans succès les ravages provoqués par mon plus vieil ennemi.
Il a rangé les flûtes et la bouteille de champagne dans la glacière et s’est levé en grimaçant.
— Ça va Lionel ? lui demandai-je inquiet.
Il ne me répondit pas vraiment. Il était déjà debout, prêt à partir, la main sur la poignée de la porte. Sans se retourner, il m’a dit dans un souffle :
— Vendredi, dans quinze jours, même heure.
Avant même que j’aie pu me lever de mon siège, il était déjà sorti.
Prochain épisode dans notre édition du 24 avril
Hermann Sboniek est âgé de 62 ans et habite un petit village de Drôme provençale. Il exerce encore son activité de photographe et profite de son temps libre pour écrire principalement des nouvelles en explorant tous les genres.
Article précédent
#2 Le deuxième rendez-vous
Article suivant
#4 Le quatrième rendez-vous
#1 Le premier rendez-vous
#2 Le deuxième rendez-vous
#3 Le troisième rendez-vous
#4 Le quatrième rendez-vous
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série