Pendant les deux semaines qui suivirent, je tentais sans succès de contacter Lionel. Mes appels aboutissaient invariablement sur sa messagerie. Vendredi, dès le début de l'après-midi, j’inspectais ma salle d’attente après chaque rendez-vous. La journée touchait à sa fin et il n’était toujours pas là. Je fis entrer mon dernier patient, un jeune homme d’environ 35 ans. Tout en posant deux enveloppes devant moi, une blanche classique et une en papier kraft, il m’expliqua :
— Je suis Matthias, le fils de Lionel Sarda. Mon père a dû être hospitalisé. Il a insisté pour que j’honore son rendez-vous et que je vous remette ces deux lettres.
— Comment va-t-il ?
— Pas très bien, me répondit-il, visiblement éprouvé.
Je savais décoder les euphémismes que l’on emploie dans ce genre de situation, son « pas très bien » signifiait « très mal ». Après avoir décacheté l’enveloppe blanche marquée « à ouvrir en premier », je commençais la lecture de la lettre qui m’était adressée.
« Cher Jean-Louis,
Je t’écris pour t’expliquer ce que je ne n’ai pas eu la force de te dire. Comme tu le sais, mon épouse est décédée il y a quelque temps. Pendant sa longue maladie, elle a soulagé sa conscience d'un secret. Son nom de jeune fille, Duteuil, ne doit pas t’être inconnu. Tu te souviens sûrement que vous étiez amants en 1982. »
Oui, je me souvenais de Sandrine. Elle avait mis fin à notre relation sans me fournir d’explications. Je reprenais ma lecture, chagriné d’apprendre le décès de mon ancienne petite amie.
« Sandrine a connu deux passions simultanées, toi et moi. Elle m’a juré nous avoir aimés tous deux pareillement. Au début de notre liaison, j’ignorais totalement l’aventure qu’elle avait avec toi, comme tu ignorais celle qu'elle avait avec moi. Je n’ai jamais mis sa parole en doute. Sandrine était une femme extraordinaire, avec qui j’ai passé une vie fantastique et connu le bonheur. Elle m’a avoué avoir vécu un véritable enfer, tiraillée entre deux amants. Son amour était sincère et profond envers nous deux. Un jour, rongée par la culpabilité et incapable de supporter plus longtemps cette situation, elle a choisi de faire sa vie avec moi. Elle est tombée rapidement enceinte et nous nous sommes mariés peu après la naissance de Matthias. Quelques jours avant de mourir, elle m’a avoué que Matthias devait être ton fils. Ne voulant pas risquer de briser notre mariage, elle a gardé le silence pendant toutes ces années… »
Je quittai un instant la feuille des yeux pour porter mon regard sur Matthias. Submergé de sentiments contradictoires, je me réfugiai dans la lecture.
« Elle avait fait procéder à une analyse génétique qui prouve que je ne suis pas le père de Matthias, et j’ai profité des traces d’ADN que tu as laissées sur la coupe de champagne pour faire effectuer une autre analyse. Les résultats dans l’enveloppe kraft indiquent une quantité élevée de gênes communs, tu sais ce que cela signifie… Quand Sandrine est morte, je suis resté seul avec ce secret, Matthias n’est au courant de rien. Fais ce que bon te semble. »
Devant mon émotion et mon air hébété, il fit mine de prendre les courriers que son père m’avait adressés, je repliais rapidement les feuilles et questionnai Matthias qui me dévisageait, sans doute inquiété par mon attitude.
— Où votre père est-il hospitalisé ?
— À Sainte-Marguerite.
— Vous êtes en voiture ?
— Oui, je dois lui rendre visite après ce rendez-vous.
— Je vous accompagne, allons-y immédiatement.
Prochain épisode dans notre édition du 30 avril
Hermann Sboniek est âgé de 62 ans et habite un petit village de Drôme provençale. Il exerce encore son activité de photographe et profite de son temps libre pour écrire principalement des nouvelles en explorant tous les genres.
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