Telma

#  1 : Numéro 653

Publié le 09/01/2020
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Telma Prison

Crédit photo : Phanie

Telma regarde la pluie tomber depuis le préau, déçue que le soleil ne se montre pas pour sa sortie. C’est peut-être un signe : elle a eu des jours ensoleillés en prison et elle aura des jours pluvieux en dehors. Rien n’est tout noir ou tout blanc.

L’alarme retentit. Il est l’heure de rentrer dans sa cellule pour la dernière fois. Toutes les prisonnières s’alignent sans faire d’histoire ; ici, il n’y a que des détenues modèles. Dociles ou brisées, Telma n’arrive plus à faire la différence. Ce qu’elle sait, en revanche, c’est qu’elle n’est aucune des deux. Elle porte le numéro 653 depuis trente ans, mais elle demeure Telma Ronsard, une femme qui paye pour ce qu’elle n’a jamais considéré comme un crime. Une femme à l’âme fougueuse et rebelle qui redoute ce qu’est devenu le monde extérieur.

Même l’établissement pénitentiaire ne ressemble plus à celui qu’elle a intégré à 26 ans. La plupart des matonnes ont été remplacées par un système plus performant et radical : des puces implantées sous la peau et des caméras dans chaque recoin. Le moindre dérapage est puni de fortes décharges électriques. Un moyen dissuasif et efficace.

Juste avant qu’elle ne réintègre sa cellule, les autres femmes la saluent, certaines la félicitent, les plus anciennes lui souhaitent simplement « bon courage ». Ce ne sont pas ses amies – impossible de sympathiser durant les rares promenades dans la cour –, mais tout le monde la connaît, c’était elle la doyenne. Cette absence de rapprochement a été un supplice pendant ces trente longues années, pour elle qui aime tant les gens, les écouter, les aider…

Elle est terrifiée à l’idée de n’avoir personne dehors. Suite à son arrestation, ses collègues de l’hôpital ont été obligés de la renier. Tout contact était prohibé, et ils tenaient trop à leur job pour enfreindre cet ordre ; elle le comprend parfaitement. Elle a perdu ses parents alors qu’elle était très jeune et elle n’a pas eu le temps de construire son propre foyer, trop occupée par son travail. Ce travail qu’elle ne peut aujourd’hui plus exercer…

Il ne lui reste rien. Sortir est une nouvelle lutte à venir pour Telma. La société actuelle ne lui inspire que révolte. Inégalités sociales, pauvreté, accès aux soins qui diffère en fonction de quel côté des Murs on est né ; des problèmes qui ont encore empiré après son incarcération.

Telma s’assoit sur son lit. Le cœur battant la chamade, elle attend qu’on appelle son matricule. Pour se rassurer, elle extrait de son maigre bagage un paquet de cartes postales et les fait défiler. Des images de lieux paradisiaques et lointains qui, peut-être, n’existent plus. Elle ignore qui les lui a envoyées, mais elles ont été sa bouffée d’air frais tout au long de sa peine. Sa raison de vivre dans cet univers froid et inhumain. Elle réalise qu’elle n’en recevra plus et, soudain, cette idée la tétanise.

— Six-cent-cinquante-trois, dit une voix robotique.

Telma se lève avec raideur. Elle traverse les couloirs et les sas, dans un état second, sans prêter attention aux affaires qui lui sont rendues. Ce n’est que lorsque sa puce est désactivée par une gardienne au visage impassible qu’elle prend conscience de la situation.

Elle a envie de pleurer comme une enfant perdue. Rien ni personne ne l’attend dehors. Quand la porte, dernier obstacle avant la liberté, coulisse sans bruit, le vent lui cingle le visage. Sous l’averse, une silhouette abritée par un parapluie s’avance vers elle.

— Telma Ronsard ?

Cela fait tellement longtemps qu’on ne l’a pas appelée par son nom qu’elle se surprend à sourire.

Prochain épisode dans notre édition du 16 janvier

Laureline Maumelat a commencé, depuis quelques années, à participer à des concours de nouvelles, notamment sur le site Short Édition, avant de se lancer plus récemment dans la rédaction de textes longs. Elle a publié en 2019 un roman sous le nom de plume Laureline Eliot : VertiG. Elle se plait à jongler avec différents genres, de la romance au contemporain, en passant par la fantasy.

Laureline Maumelat

Source : Le Quotidien du médecin