Telma

#  3 : La panne

Publié le 23/01/2020

À sa sortie de prison, Telma rencontre Hans Kolsky, un haut dignitaire, grand favori des prochaines élections, qui souhaite l’embaucher pour aider son épouse. Elle comprend que cette affectation est inhabituelle…

Dumont s’impatiente dans l’entrée de l’appartement de Kolsky. Telma tient le stylo au-dessus de son assignation. Le politicien lui sourit.

— Je vous promets que vous ne le regretterez pas.

— Avec tout le respect que je vous dois, ne faites pas de promesses que vous ne pouvez pas tenir, je ne suis pas une de vos électrices.

Elle signe en le regardant dans les yeux.

— Ceci dit, je n’ai jamais de regrets, ajoute-t-elle.

Telma a toujours su lire à travers les gens – les mamans inquiètes qui prétendaient que tout allait bien ; les papas visiblement confiants, en réalité terrifiés de ne rien contrôler – et, malgré sa longue réclusion, elle ne pense pas avoir perdu ce don. Hans Kolsky lui cache quelque chose, et elle a envie de découvrir quoi.

Le dignitaire et son employé s’isolent pour parler à voix basse, tandis que Léon, le chauffeur à l’oreillette, la guide dans un salon modeste. En dehors de la technologie omniprésente, il n’y a pas de luxe ostentatoire.

Une fois seule, elle s’approche de la baie vitrée. À cette hauteur, elle surplombe les quartiers huppés. Elle peut même voir l’hôpital où elle travaillait et, plus loin, le soleil qui se couche derrière les Murs.

Ces Murs qui ont été la cause de son emprisonnement. Des remparts qui représentent une aberration et une honte. Le jour où la première pierre avait été posée, Telma avait débuté son combat. Celui d’un accès aux soins pour tous.

Il lui était impensable que l’on divise la population en fonction de son compte en banque. Telma estimait que chacun avait le droit d’être soigné, qu’il en ait les moyens ou pas.

Rapidement, cependant, elle avait dû faire profil bas et avait rassemblé, en secret, des gens qui partageaient son opinion. Dans un premier temps, ils avaient fait passer de manière clandestine du matériel médical, puis Telma avait trouvé cela insuffisant. Faute de traitements appropriés, des gens mourraient. Il avait alors fallu franchir les Murs, en toute illégalité, pour agir sur le terrain.

— La vue vous plaît ? demande Kolsky en interrompant le flot de souvenirs de la sage-femme.

— Pas vraiment, non.

— Je suis heureux que vous soyez enfin là.

Telma s’interroge sur le sens de cette phrase quand les lumières se mettent à vaciller, avant de s’éteindre pour de bon.

Encore une panne. Ces derniers temps, elles sont si fréquentes que Telma est persuadée que bientôt l’électricité ne reviendra pas. Le monde tel qu’il existe semble sur le déclin et, d’une certaine manière, cela la réconforte.

— Vous ne préférez pas embaucher quelqu’un de qualifié ? interroge Telma.

— Hormis Léon, je n’ai pas d’autres employés et je suis certain que vous conviendrez parfaitement.

— Pourquoi moi, monsieur Kolsky ?

— Appelez-moi Hans, propose-t-il, la main tendue.

Telma la lui serre. Son instinct ne la trompe pas : cet homme est bien plus qu’un ambitieux briguant le pouvoir.

— Hans ? intervient Léon depuis le seuil. Elle a une nouvelle crise d’angoisse.

Kolsky sourit d’un air attendri, puis hoche la tête.

— Venez, je vais vous présenter mon épouse, Cara, dit-il à Telma.

Elle le suit au bout d’un couloir sombre jusqu’à une porte fermée. Dans la chambre faiblement éclairée par les derniers rayons du soleil, une jeune femme se balance sur un rocking-chair. Son visage s’illumine et un soulagement évident s’y lit lorsqu’elle voit son mari entrer. Cara se serait précipitée sur lui si elle le pouvait, mais le ventre très arrondi sous son t-shirt l’en empêche.

Telma se retourne vers le politicien en arquant les sourcils.

— Je vous avais dit que vous feriez parfaitement l’affaire, déclare Hans.

Prochain épisode dans notre édition du 30 janvier

Laureline Maumelat a commencé, depuis quelques années, à participer à des concours de nouvelles, notamment sur le site Short Édition, avant de se lancer plus récemment dans la rédaction de textes longs. Elle a publié en 2019 un roman sous le nom de plume Laureline Eliot : VertiG. Elle se plait à jongler avec différents genres, de la romance au contemporain, en passant par la fantasy.

Laureline Maumelat

Source : Le Quotidien du médecin