Un travail collectif a été mené en 2024-2025 pour élaborer un Guide de l’organisation des urgences, pour une diffusion prévue dans le courant de l’été 2025. Sous l’égide de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) et Samu–Urgences de France, plus de 80 professionnels y ont contribué afin de refléter la réalité du terrain : des médecins urgentistes et d’autres soignants impliqués dans la médecine d’urgence – infirmiers, infirmiers en pratique avancée, etc. « Le document porte sur les urgences intra-hospitalières mais dans une approche transversale, pluriprofessionnelle et ancrée dans les pratiques actuelles », précise la Pr Sandrine Charpentier, cheffe de service des urgences adultes (CHU de Toulouse) et présidente de la SFMU. Il s’agit de clarifier les missions, d’affirmer une identité.
Lors du congrès Urgences, 9 des 21 recommandations issues du Guide sont présentées, sous des versions encore ouvertes à l’amendement par suite des débats dans la salle. Parmi les thématiques centrales, figurent notamment : qu’est-ce qu’un urgentiste et quelles sont les missions des structures d’urgence ? Faut-il faire évoluer, rationaliser ou réguler l’accès aux urgences ? Quels modèles organisationnels efficaces et pérennes pour répondre aux besoins du terrain ? Avec quel encadrement : gouvernance, référentiels de fonctionnement, responsabilités ? Quels effectifs médicaux et paramédicaux pour assurer le fonctionnement d’une structure d’urgence ? « Il n’existe pas encore de référentiels liant les effectifs à la fois au volume d’activité et à la complexité des patients pris en charge », souligne la Pr Charpentier.
Parmi les autres thématiques : l’organisation du temps de travail, du point de vue de la qualité de vie au travail des soignants et de la sécurité des patients, mais aussi l’environnement institutionnel, qui englobe les spécialités chirurgicales, médicales et la gestion des lits, ou l’environnement technique (biologie, radiologie). Sans oublier la gestion des situations sanitaires exceptionnelles, la formation, la recherche et les patients gériatriques.
Une spécialité récente à structurer
La médecine d’urgence est une spécialité récente, reconnue en 2017 avec la création du diplôme d’enseignement spécialisé (DES) de médecine d’urgence. « Cette spécialité s’est construite historiquement autour de trois piliers, rappelle la Pr Charpentier : le Samu, les Smur et les services d’urgences hospitaliers. Aucun cadre n’avait véritablement défini les contours de notre métier ni les missions propres à chacun. Car la spécificité de la médecine d’urgence est de reposer sur une approche transversale. L’urgence, par ailleurs, est souvent perçue de manière très différente selon qu’on est professionnel de santé ou patient. C’est un ressenti, une notion en partie subjective, qui rend sa définition complexe. Aujourd’hui, avec l’expérience accumulée depuis la création du DES, nous avons estimé qu’il était temps de poser les fondations solides d’une définition commune de notre métier, de nos missions et du périmètre exact de la spécialité. »
L’urgence est une notion en partie subjective
Pr Sandrine Charpentier
Les structures d’urgence sont déjà fortement encadrées par des textes réglementaires. Le plus récent, publié en 2023, concerne les autorisations (décret n° 2023-1376 du 29 décembre 2023, « Conditions techniques de fonctionnement de l’activité autorisée de médecine d’urgence ») : il définit les conditions requises pour ouvrir une structure de médecine d’urgence. « D’où l’intérêt de proposer aujourd’hui un cadre plus lisible et harmonisé, précise l’urgentiste, sans imposer un modèle unique. Il ne s’agit pas d’un cahier des charges contraignant mais d’un outil de référence. Même si la définition de la médecine d’urgence y est clairement posée, le texte tient compte des réalités du terrain. »
Le médecin des soins critiques
Le médecin urgentiste doit être capable de prendre en charge un patient dont le pronostic vital ou fonctionnel risque de se détériorer rapidement s’il n’est pas traité immédiatement. « Il faut distinguer l’urgence médicale critique, qui relève de l’urgentiste, des soins médicaux urgents, qui concernent des patients nécessitant une réponse rapide mais pouvant être pris en charge par d’autres professionnels (généralistes, structures ambulatoires, etc.), sans besoin d’un plateau technique spécialisé. Cette distinction est essentielle, indique la Pr Charpentier. Il revient aux professionnels de santé d’orienter les patients ; c’est le rôle du service d’accès aux soins (SAS). Le dogme selon lequel tout patient qui se présente aux urgences doit y être pris en charge systématiquement n’est plus applicable aujourd’hui. Une enquête menée en 2023, sur une journée dans une structure d’urgence (1), montre que 13 % des patients n’avaient pas besoin de ce plateau technique. Pour autant, la médecine d’urgence reste une discipline centrée sur l’humain. Aucun patient n’est étiqueté ni “refoulé”. L’objectif est de l’orienter vers la filière adaptée. Et lorsque cette filière n’existe pas, ou n’est pas accessible, la prise en charge est assurée. »
Le dogme selon lequel tout patient qui se présente aux urgences doit y être pris en charge n’est plus applicable aujourd’hui
Pr Sandrine Charpentier
Un métier, quatre piliers
Le rôle du médecin urgentiste ne peut s’exercer correctement que dans un partenariat solide avec les médecins de premier recours – généralistes et médecine du soin non programmé. « Tout autant qu’avec les médecins spécialistes d’organes, ajoute la présidente de la SFMU. Nos missions sont claires : trier, diagnostiquer, traiter, orienter. Ce sont les quatre piliers de notre activité clinique. Pour que cette collaboration entre médecines hospitalière et de ville fonctionne vraiment, il faut d’abord réussir à renforcer l’implication de la médecine générale dans les SAS. »
Mais, comme dans d’autres spécialités, la médecine d’urgence est également confrontée à une tension majeure sur les ressources humaines. « Cette pression dégrade l’organisation et fait que, sur le terrain, on dépasse régulièrement le cadre strict de nos missions, déplore-t-elle. Le système est sous tension, et cela pèse sur l’ensemble des acteurs. L’attractivité de la médecine d’urgence pour les jeunes médecins repose clairement sur la diversité de l’activité. Ce qui les attire, c’est la possibilité d’exercer dans les trois dimensions de la spécialité : le service d’urgences, le Samu et la régulation. Contrairement à ma génération, où il fallait souvent choisir entre ces champs, les jeunes praticiens revendiquent une pratique transversale et pleinement centrée sur le cœur de métier de l’urgentiste : le soin critique. »
En revanche, ils ne veulent plus assumer les tâches périphériques qui ne relèvent pas directement de la médecine d’urgence. La recherche de lits, la négociation pour une hospitalisation, l’accumulation de démarches administratives… tout cela ne fait plus partie de ce qu’ils considèrent comme leur rôle. « C’est un changement de mentalité très net, salutaire, qui nous oblige à faire évoluer nos organisations. »
(1) Premiers résultats de l’enquête Urgences 2023/Dress/11 juin 2024
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