LE PROGRAMME de développement des nouveaux anticoagulants oraux a été conçu pour les évaluer dans plusieurs situations à risque thrombotique : prévention et traitement des événements veineux thromboemboliques, fibrillation atriale, mais aussi maladie coronaire aiguë ou chronique. Dans ce dernier domaine, deux molécules avaient déjà été testées, l’apixaban dans un essai de phase III (APPRAISE-2) et le darexaban dans une étude de phase II (RUBY). Ces deux études avaient montré un excès d’événements hémorragiques, conduisant, dans le premier cas, à interrompre l’étude et le développement de l’apixaban dans les syndromes coronaires aigus (SCA) et, dans le deuxième, à interrompre le développement du darexaban.
Le rivaroxaban a été évalué chez des patients en phase semi-précoce d’un SCA dans un essai en double aveugle contre placebo dénommé ATALS-ACS2-TIMI 51 (Anti-Xa Therapy to Lower cardiovascular events in Addition to aspirin with/without thienopyridine therapy in Subjects with Acute Coronary Syndrome) (1) et ses résultats constituent une avancée dans la prise en charge de la maladie coronaire, même s’ils suscitent de nombreuses interrogations.
L’étude a été construite pour permettre deux comparaisons par rapport au placebo, correspondant à deux doses quotidiennes de rivaroxaban, 2,5 mg deux fois par jour ou 5 mg deux fois par jour. Le traitement évalué devait être commencé au cours des sept premiers jours suivant l’admission pour un SCA (avec ou sans sus-décalage du segment ST), dès lors que le patient était cliniquement stable.
L’utilisation des antithrombotiques validés (aspirine et thiénopyridines) était laissée à l’appréciation des investigateurs.
Les principaux critères d’exclusion étaient une insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine ‹ 30 mg/min), un antécédent d’hémorragie intracrânienne ou d’AVC ischémique ou d’AIT, une anémie et une thrombopénie.
Le critère principal d’efficacité était composé des décès cardio-vasculaires, des infarctus du myocarde et des AVC. Le critère principal de sécurité était les hémorragies majeures selon la classification TIMI, survenues hors chirurgie de pontage coronaire.
15 526 patients suivis pendant 2 ans.
Le résultat principal a pris en compte la comparaison entre les patients sous rivaroxaban, quelle que soit la dose, et ceux sous placebo. Il montre que le rivaroxaban permet de diminuer significativement, de 16 % en valeur relative, l’incidence des événements du critère primaire (risque relatif [RR] : 0,84 ; IC 95 % : 0,74-0,96 ; p = 0,008). Comparativement au placebo, le bénéfice sur le critère primaire et a été significatif pour chacune des doses testées.
Plus encore, avec la plus faible dose, il y a eu une réduction significative de la mortalité totale (RR : 0,68 ; IC 95 % : 0,53-0,87 ; p = 0,02) et de la mortalité cardio-vasculaire (RR : 0,66 ; IC 95 % : 0,51-0,86 ; p = 0,002), mais sans toutefois de diminution significative des infarctus du myocarde (risque relatif : 0,90 ; IC 95 % : 0,75-1,09 ; p = 0,27) et des AVC (risque relatif : 1,13 ; IC 95 % : 0,74-1,73 ; p = 0,56). Avec la plus forte dose, il n’a pas été mis en évidence de réduction de mortalité cardio-vasculaire (RR : 0,94 ; IC 95 % : 0,75-1,20 ; p = 0,63) ou totale (RR : 0,95 ; IC 95 % : 0,76-1,19 ; p = 0,66) mais une baisse significative de l’incidence des infarctus du myocarde a été constatée (RR : 0,79 ; IC 95 % : 0,65-0,97 ; p = 0,02).
Par rapport au placebo, il y a eu une augmentation significative des hémorragies majeures sous rivaroxaban, ainsi que des hémorragies intracrâniennes, sans augmentation significative des hémorragies fatales, ces dernières ayant même été moins fréquentes avec la faible dose de rivaroxaban que sous placebo (0,1 % versus0,4 %).
Des questions.
La diminution de mortalité totale sous une faible dose de rivaroxaban indique que, même au prix d’une augmentation du risque hémorragique, le traitement évalué exerce un bénéfice clinique net.
Cependant, ces résultats favorables ont suscité plusieurs questions puisqu’on observe une réduction significative de la mortalité totale et cardio-vasculaire, alors qu’il n’y a pas de réduction significative des infarctus du myocarde et des AVC avec la plus faible dose. Plus encore, et paradoxalement, alors qu’il y a une réduction significative des infarctus du myocarde sous la plus forte dose, il n’y a pas, avec cette dose, de réduction significative de mortalité totale ou cardio-vasculaire.
Par ailleurs, si le risque hémorragique, qui est apparu acceptable, est compensé par l’obtention d’un bénéfice clinique net, c’est aussi probablement parce que les patients qui avaient des antécédents d’AVC et/ou d’AIT avaient été exclus, et que l’âge moyen des patients inclus était relativement faible (61 ans) et que seulement 9 % avaient plus de 75 ans. Ces éléments peuvent poser des problèmes lors du passage à la pratique : quels patients ne devront pas avoir de rivaroxaban dans cette situation clinique, compte tenu de leur risque hémorragique ? Autre problème de pratique, si l’AMM est accordée, quel serait le bénéfice de ce traitement si les patients reçoivent du ticagrelor plutôt que du clopidogrel, le ticagrelor étant plus efficace que le clopidogrel pour diminuer les événements ischémiques lors des syndromes coronaires aigus ? Et quel serait le risque hémorragique de ce traitement si les patients reçoivent du prasugrel à la place du clopidogrel, le prasugrel augmentant le risque d’hémorragies majeures et fatales par rapport au clopidogrel lors des syndromes coronaires aigus ?
Une avancée certaine.
Quoi qu’il en soit de ces questions que les agences de santé auront l’occasion de se poser puisque les laboratoires Bayer HealthCare et Johnson & Johnson Pharmaceutical Research & Development, qui co-développent le rivaroxaban, envisagent de déposer une demande d’enregistrement d’ici la fin de l’année pour le rivaroxaban dans les suites d’un SCA, cette étude comporte plusieurs avancées. Les deux principales sont de montrer qu’il est encore possible de réduire la mortalité totale par un moyen pharmacologique dans la prise en charge relativement précoce et prolongée des syndromes coronaires aigus et de démontrer qu’un bénéfice clinique peut être obtenu dans la maladie coronaire en associant au long cours des antiagrégants plaquettaires et un anticoagulant.
Liens d’intérêts de l’auteur : honoraires pour conférence ou conseils pour les laboratoires Abbott, AstraZeneca, BMS, Boehringer Ingelheim, IPSEN, Menarini, MSD, Novartis, Pfizer, Roche Diagnostics, sanofi-aventis France, Servier, Takeda.
(1) Mega JL, et coll. N Engl J Med. 2011 Nov 13. [Epub ahead of print]
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